Depuis longtemps, les chercheurs en management s’intéressent aux avantages sociopolitiques, financiers et managériaux de la gestion de diversité (sexe, origine ethnique, orientation sexuelle) notamment dans les secteurs où l’innovation est la clé. Plusieurs études ont montré que l’impact de la diversité sociodémographique peut varier en fonction du secteur concerné, mais aussi de sa capacité de changer la culture organisationnelle et des mentalités en entreprise.
On ne peut pas sous-estimer le rôle potentiel de la pop culture et notamment de la stratégie des géants Apple TV et Netflix pour faire avancer le débat sur les défis de la diversité et de l’inclusion à travers des séries telles que Ted Lasso, Schitt’s Creek, ou bien Orange is the new black.
Pleinement engagé dans la lutte contre les stéréotypes, Netflix a récemment annoncé l’investissement de 100 millions d’euros pour promouvoir la diversité à la fois dans ses séries et dans les équipes de tournage. Ted Sarandos, codirecteur général de Netflix a ainsi déclaré :
« Je pense que si les individus peuvent se connecter au contenu des séries, c’est […] qu’ils peuvent s’identifier à un personnage qui leur ressemble, ou qu’il reflète une expérience personnelle qu’ils ont aussi vécue. »
La plate-forme de streaming Apple TV s’est lancée dans l’aventure des séries depuis 2019 et a sorti La Quête Mythique en février 2020.
Cette série offre une représentation exacerbée de la diversité de genre, de la couleur de peau, de la nationalité et de l’orientation sexuelle des employés d’une boîte de jeux vidéo, sur un ton empreint d’humour et d’absurde. Mais ce qu’on ne voit pas au premier regard, ce sont les enjeux de recrutement qui sous-tendent cette diversité et les avantages compétitifs de la diversité dont les impacts positifs ont été prouvés dans l’industrie des jeux vidéo. Dans le monde imaginaire créé par le jeu vidéo, les joueurs peuvent s’identifier avec les personnages qui leur ressemblent.
Les chercheurs en management cherchent à comprendre pourquoi la diversité est considérée comme une valeur positive dans les secteurs créatifs de la haute technologie et des services plus généralement, mais souvent difficile à mettre en place dans d’autres secteurs notamment dans le secteur secondaire, à savoir dans les métiers de production.
L’impact de la diversité dans le secteur créatif
La Quête Mythique, récemment nominé pour les « Emmy Awards » est une illustration caricaturée de la valeur de l’approche intersectionnelle de la diversité visant à construire un meilleur produit, ici un jeu vidéo.
On découvre, entre autres, les aventures professionnelles et amoureuses de deux testeuses de jeux qui sont lesbiennes et de différentes origines ethniques. D’après des études sectorielles, ces deux employées dans le secteur dit créatif seraient recrutées surtout pour leur capacité à refléter la diversité des profils des utilisateurs en plus de leurs compétences. En comprenant mieux leurs besoins, il devient possible de les intégrer dans des jeux vidéo plus inclusifs. Cette représentation des sexes, origines et orientations sexuelles peut entraîner une plus grande diversité parmi les joueurs/consommateurs et avoir des effets positifs sur les bénéfices de la société de production.
Un imaginaire plus riche et plus divers
L’IGDA (International Game Developers Association), un réseau mondial de personnes travaillant dans l’industrie des jeux vidéo, a publié les résultats de son enquête de satisfaction des développeurs de 2017 et a dévoilé que 61 % des développeurs de jeux s’identifient comme étant « blancs/caucasiens/européens », 74 % comme « hommes » et 81 % comme « hétérosexuels ».
Les personnes issues de groupes marginalisés en raison de leur genre, de leurs origines et de leur orientation sexuelle ne sont pas représentées de manière adéquate dans le contenu des jeux ou dans les studios de jeux produisant ce contenu, ce qui entraîne un manque de diversité dans l’ensemble des jeux. Bien sûr, un homme blanc et hétérosexuel peut tout à fait inventer un personnage de femme noire et queer, mais il est plus susceptible de créer un jeu inédit montrant une expérience réaliste lorsqu’il travaille dans une équipe ou il y a une ou justement des personnes qui connaissent cette expérience de l’intérieur.
La question fait débat, en particulier aux États-Unis, mais le lien entre la diversité des profils – dans une industrie créative comme le jeu vidéo – et une plus grande empathie envers les utilisateurs, entraînant la création de meilleurs produits et services, a été établi.
L’une des pratiques de gestion de diversité dans les pays anglo-saxons sont les questionnaires de recrutement anonymes qui visent à mesurer les différents critères de diversité en entreprise tels que le genre et l’origine. L’approche anglo-saxonne vise à promouvoir l’image d’une entreprise dans laquelle les employées peuvent s’exprimer ouvertement sur leur orientation sexuelle sur la base du volontariat, par exemple via les groupes d’affinité. Ce qui rend le secteur du jeu vidéo encore plus complexe, c’est qu’il est traditionnellement dominé par les hommes blancs reste un problème important notamment aux États-Unis. En France, les statistiques ethniques sont historiquement un sujet tabou et les politiques RH en faveur de la diversité sont principalement axées sur le handicap ou le genre.
La Quête Mythique surligne la diversité, parfois jusqu’à la caricature des personnages. Poppy, développeuse principale du jeu vidéo, a du mal à s’imposer. David, le producteur exécutif et gay, ne cache pas ses problèmes émotionnels et son enfance particulièrement perturbée. A l’aide de l’humour et de l’absurdité, la série montre ce que le secteur du jeu vidéo n’est pas prêt, en réalité, à accueillir toute cette diversité – il s’agit bien d’une « quête mythique », pour l’instant.
Favoriser la créativité
Dans la série, l’équipe compte des informaticiens, un directeur artistique et un écrivain dont les opinions insolites permettent finalement de développer un meilleur jeu vidéo avec un élément de surprise. C’est une illustration des avantages d’une approche de la diversité intersectionnelle (âge, genre) qui est une source de créativité.
La question du rapport à l’autre est souvent traitée en termes de vivre ensemble à la française ou sous l’angle de la coopération entre profils différents, mais la série attire notre attention sur le pourquoi de la diversité, sur l’importance de comprendre les enjeux et les finalités de la diversité des recrutements, au-delà des effets de mode.
La culture de la sécurité
En contraste avec le monde du jeu vidéo, les résultats des études menées dans le secteur de la production énergétique ne montrent pas d’intérêt de ce secteur pour la diversification de ses recrutements au nom de la créativité et de l’inclusion. Malgré la pénurie de candidats et les besoins de recrutement, la recherche de candidats issus jugée en général inappropriée.
La recherche montre que l’approche anglo-saxonne de favorisation de la diversité dans le recrutement au nom de la créativité peut être perçue négativement par les employés dans les secteurs ou la créativité n’est pas essentielle dans l’atteinte des objectifs organisationnels.
Le principe d’inclusion (How to Measure Inclusion in the Workplace prévoit un meilleur équilibre entre le sentiment d’appartenance à un groupe et la possibilité de prendre des initiatives. Les employées sont encouragés développer de nouvelles postures managériales et à développer de nouvelles idées pour générer la performance organisationnelle. En d’autres termes, la culture de l’entreprise inclusive favorise le bien-être et la prise d’initiative.
Cette prise d’initiative peut être vue comme dangereuse au regard des standards de sécurité qui appelle à l’inverse le respect des routines et l’adoption des conduites prescrites. Le travail des employés opérationnels (ingénieurs, mécaniciens, électriciens) et le fonctionnement d’une centrale électrique peut être assuré grâce à l’accomplissement des tâches répétitives. La diversité culturelle, ethnique, de genre ou autre, vue comme une valeur ajoutée contribuant à l’innovation et à la créativité tout en permettant de créer des meilleurs produits et services peut être vue par les managers et les employées opérationnels comme un concept inutile pour le fonctionnement de l’organisation.
Selon un manager compliance dans la centrale électrique :
« Je peux m’imaginer les départements de l’organisation où la diversité pourrait être mise en œuvre mais ici [site de production] il n’est pas possible de laisser les employés s’exprimer librement […] car ce n’est pas un environnement typiquement créatif […]. Je ne vois pas de possibilité pour la liberté sur le site de production. Il y a des règles et des procédures strictes. […] L’introduction de la liberté et de la créativité pourrait conduire à la catastrophe industrielle ».
Le secteur d’activité, le type de métier et la culture organisationnelle (de sécurité ou de créativité) doivent être pris en compte si on souhaite établir une véritable politique de diversité et d’inclusion où le recrutement de profils divers est considéré comme une valeur ajoutée à l’organisation. De plus, les attitudes à l’égard de la diversité dépendent beaucoup de la nature de l’activité de l’employé et du secteur d’activité dans lequel il évolue.
La diversité est devenue un « buzzword » dans le monde de travail. Elle reste un défi majeur pour certains secteurs comme celui de la production où l’innovation n’est pas un indicateur clé de la performance organisationnelle et où la perspective d’inclusion ne semble pas prioritaire aux yeux des recruteurs. D’un côté, les séries américaines nous montrent les défis de la diversité dans le contexte anglo-saxon, de l’autre, les chercheurs en management soulignent l’importance de la contextualisation du management de la diversité et de l’inclusion.