Un article publié sur The Conversation France.
La crise politique et sociale autour de la proposition de réforme des retraites mais aussi des enjeux climatiques, incarne ce que nous appelons aussi la « crise contemporaine de la décision publique ». Or, comment y remédier ?
Plusieurs propositions impliquant plus directement les citoyens ont émergé, comme récemment, celle d’un référendum d’initiative partagé sur les retraites en examen au 3 mai.
Nous pouvons, dans la même démarche, poser la question d’autres types de consultations fondant plus étroitement la participation citoyenne et la méthodologie scientifique dans l’évaluation économique des politiques publiques. Cela semble nécessaire afin que soient exprimées correctement les préférences individuelles des citoyens et faire en sorte que les décisions prises par les politiques soient réellement en adéquation avec les attentes citoyennes. Mais cela nécessite qu’existe un réel volontarisme politique pour aller chercher la parole citoyenne. L’objectif est de jeter des ponts entre les parlementaires et les citoyens.
Des exemples de démocratie directe
L’exemple de la démocratie semi-directe en Suisse alliant démocratie directe et représentativité, place les citoyens dans un rôle actif où ils peuvent approuver ou refuser des lois grâce aux référendums et aux initiatives populaires dont cette dernière est aussi appliquée en Italie. Certes, faire évaluer une proposition de politique publique par les citoyens peut effrayer certains décideurs, soucieux de perdre leur légitimité politique, voire d’être sanctionnés dans la prise de décision.
C’est pourquoi le modèle de « saisine citoyenne » à l’échelle territoriale, fondée sur un ensemble de conseils citoyens, nous paraît intéressant comme approche démocratique dans un contexte où 54 % des Français estiment qu’il n’y a pas assez de démarches de participation citoyenne donc ont le sentiment d’être dépossédées de toute décision politique.
En effet, si on prend l’exemple de la consultation citoyenne sur le système universel des retraites, il y a eu une consultation mais pas de réelle communication sur la restitution citoyenne ainsi que la prise en compte de certaines propositions. En 2021 la Convention citoyenne sur le Climat a elle aussi généré une forte déception citoyenne car le gouvernement n’a retenu qu’une minorité des propositions. Dans ces conditions, les décideurs politiques cherchent-ils tout simplement à faire le « buzz » d’une véritable démocratie participative ?.
La saisine citoyenne territoriale
Le concept de saisine citoyenne territoriale n’existe que dans très peu de territoires à l’exemple de la ville Malakoff où avec 1 400 signatures, les cyclistes de Malakoff s’invitent au conseil municipal pour appuyer un plan vélo et de l’agglomération de Mulhouse Alsace. Actuellement, un sujet de saisine citoyenne sur l’intérêt d’une monnaie locale sur le territoire de Mulhouse Alsace est déposé par un citoyen du réseau La Cigogne auprès du Conseil de Développement de l’Agglomération.
Ce type de saisine est conçue comme une possibilité à tout citoyen.ne ou groupe de citoyen.ne.s d’interpeller les collectivités territoriales sur des sujets d’importance, propositions et projets qui participeraient au mieux vivre ensemble au sein de leur territoire. Dans cette perspective, l’outil le plus pertinent selon nous serait le modèle des conseils citoyens (La Loi Lamy du 21 février 2014 dont l’expertise dans les travaux des politiques publiques et le processus de décision publique a été évalué positivement.
Ces conseils y sont composés d’habitants dits « citoyens ordinaires » tirés au sort ou volontaires et des représentants d’associations ou d’autres acteurs locaux. Par exemple, dans le cadre d’une enquête concernant la place en France de Conseils de Citoyens avec la crise sanitaire de 2020, 4 répondants sur 5 pensent que ces conseils offriraient plus d’écoute, de connaissance du terrain et de dialogue permettant aux décideurs de considérer les attentes de la population pour mieux prévenir et gérer la crise sanitaire
Cette saisine repose sur la possibilité aux Conseils de Citoyens d’exiger et de participer directement ou indirectement au suivi et au contrôle des dépenses publiques, de déclencher et d’orienter les investigations, et d’attirer l’attention sur une politique publique territoriale en lien avec les régions, les départements et les communes mais également nationale avec le gouvernement et le parlement. Les citoyens sont ainsi « en alerte » sur la mise en œuvre des politiques publiques, sur le besoin des mutations et nouvelles régulations économiques de l’action publique.
Quelle place pour les décideurs
Les Conseils Citoyens fonctionneraient comme une instance démocratique locale et permettraient donc ensuite de « saisir » les organes de contrôle c’est-à-dire les collectivités territoriales, le parlement et le gouvernement voire le Conseil constitutionnel.
Cette saisine ferait donc office de contrôle citoyen sur des termes de contrôle à l’instar de la consultation proposée par la Cour des comptes dans le cadre du projet de juridictions financières « JF 2025 ». Six demandes de contrôle ont été exprimées par les citoyens : le recours par l’état à des cabinets de conseil privé, l’évaluation de l’efficacité et la détection de la fraude fiscale des particuliers, les soutiens publics aux fédérations de chasseurs, l’école inclusive, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’intérim médical et la permanence des soins.
Cette démarche va plus loin qu’une simple consultation citoyenne et peut être critiquable en marginalisant la représentation par le vote, voire en délégitimant le rôle essentiel des élus. Il s’agit ainsi de considérer dans le management participatif l’importance des saisines des Conseils de Citoyens en tant qu’un outil de co-construction de la décision publique.
Qu’en pensent les décideurs politiques ?
J’ai complété des entretiens menés avec des élus locaux par une série d’entretiens dans le cadre de mon habilitation à diriger des recherches avec différents décideurs politiques au niveau national afin d’évaluer la façon dont ils perçoivent la pertinence de cette nouvelle échelle de participation citoyenne.
L’enquête compte le président de la Cour des comptes, un sénateur, deux députés afin de leur présenter la nature et la portée du contrôle citoyen dans l’évaluation économique des politiques publiques. Les conclusions sont que le contrôle citoyen n’est pas majoritairement souhaité par les élus nationaux. Le propos général est que si on se place du point de vue de l’évaluation économique « il y a trois logiques, la première est que la participation des citoyens n’est pas une expertise mais une plus-value, le savoir c’est l’expertise scientifique et la décision appartient aux experts politiques » (Président de la Cour des Comptes), « les élus ont la capacité de le faire » (sénateur), pour autant, la place des citoyens dans l’évaluation économique est essentielle pour les « responsabiliser » et donner plus de « clarté » à la décision publique à l’exemple de la réforme des retraites » (député).
Leurs conclusions montrent que les procédures d’évaluation économique sont très éloignées des citoyens en termes de contrôle. Pour autant, les citoyens se sentent capables de modifier, de rejeter ou d’accepter une politique publique.
Dans ces conditions, malgré des réticences au niveau national, l’ensemble des politiques auditionnés considèrent que le territoire est le meilleur niveau pour associer les citoyens. Cette démarche pourrait venir conforter l’idée de mobiliser les Conseils de Citoyens dans la rédaction d’une « loi programme avec des objectifs communs » avec l’ensemble des parties prenantes de l’action publique en créant du lien entre le territoire et le national.