Depuis 2014, Laval a connu un rebond robuste de la croissance de son PIB et de son taux d’emploi, qui dépassent aujourd’hui la moyenne provinciale du Québec. Quel est son secret et qu’ont en commun les villes, les régions ou les pays qui s’illustrent à l’échelle mondiale ?
Dans la révolution numérique accélérée par l’intelligence artificielle, l’internet des objets, et l’analyse des mégadonnées, l’innovation technologique et la connectivité globale des multinationales deviennent les moteurs de la croissance économique mondiale. Les acteurs politiques doivent attirer des investissements pour stimuler la recherche et développement (R et D) et augmenter les capacités de production tout en soutenant les entreprises locales.
Ainsi, les pays ou les régions capables de fabriquer une grande variété de produits à forte valeur ajoutée sont plus concurrentiels que ceux qui sont spécialisés dans quelques produits à forte intensité de ressources premières ou de main-d’œuvre.
Par exemple, la Chine et l’Inde sont deux puissances mondiales dans les secteurs traditionnels (agriculture, textile et exploitation minière). Pourtant, pendant les dernières décennies, la Chine a dépassé l’Inde pour devenir un leader mondial dans plusieurs secteurs à forte valeur ajoutée (fabrication de machines et d’automobiles, semi-conducteurs et appareils électroniques, produits chimiques). Par conséquent, la complexité économique de la Chine est plus élevée que celle de l’Inde. L’économie chinoise est donc plus compétitive que l’économie indienne.
Pour chaque pays ou région, on peut aussi calculer l’avantage comparatif révélé (ACR), qui représente le degré de spécialisation locale dans un secteur industriel par rapport à la moyenne mondiale, ainsi que l’Indice de complexité du produit (ICP), qui représente la complexité de la connaissance dans les activités de production. Une valeur ICP élevée indique que le produit est à haute complexité de la connaissance.
En tant que chercheurs en gestion de l’innovation et en entrepreneuriat, nous nous intéressons à la contribution des industries à forte intensité de connaissance à la croissance économique régionale. En 2019, nous avons mené une étude au sujet de la compétitivité mondiale du Québec par rapport à celle du Canada qui montre qu’à l’échelle mondiale, les secteurs industriels les plus compétitifs d’une région ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux du pays dont la région fait partie.
Compte tenu de cette divergence entre la région et le pays, nous explorons comment la complexité de la connaissance au sein des secteurs industriels contribue à la compétitivité mondiale d’une ville. Nous avons étudié notamment le cas de Laval, dans le cadre d’un mandat du Service de développement économique (SDÉ) de Laval.
Intégrée dans la Communauté métropolitaine de Montréal, Laval, qui compte plus de 400 000 habitants, est la troisième municipalité la plus peuplée au Québec derrière Montréal et Québec. Bien développée et diversifiée, la croissance économique de Laval est accélérée par plusieurs industries stratégiques, comme les sciences de la vie, les technologies de l’information et de la communication (TIC), et l’agroalimentaire, des produits métalliques, de la machinerie et du matériel de transport.
Ville de banlieue, Laval profite du rayonnement des activités économiques en provenance de Montréal. On y trouve la Cité Biotech, un campus de l’Université de Montréal, de nombreux centres de recherche et développement (R et D) et des entreprises de haute technologie.
Laval est aussi la municipalité qui compte le plus de brevets d’invention par habitant au Québec selon l’Institut de la statistique du Québec. On y compte un peu plus de 4 brevets d’invention par 10 000 habitants. La moyenne du Québec est de 1,8 par 10 000 habitants. En 2016, 176 inventions brevetées ont été délivrées à Laval au total, soit 11,9 % de tous les brevets obtenus au Québec.
Afin d’analyser les rôles des connaissances au sein du développement économique d’une ville, nous appliquons le modèle du réseau d’espace produit. Dans ce réseau, les « nœuds » représentent les secteurs industriels et les « liens » entre eux représentent la tendance de coproduction dans le même endroit.
Ainsi, les liens dans le réseau d’espace produit indiquent la proximité de connaissance entre les secteurs. Par exemple, la fabrication des machines et celle des appareils électroniques engagent la même intensité de connaissances avancées en sciences et en génie. En plus, les producteurs dans les deux secteurs partagent des connaissances en technologie, en gestion des affaires, et en marché d’approvisionnement. Par conséquent, il y a des liens très denses entre les secteurs de la machinerie et les secteurs de l’électronique dans le réseau d’espace produit.
En analysant la structure de son réseau d’espace produit, nous sommes en mesure de démontrer la compétitivité des entreprises d’une ville ou d’une région sur la scène mondiale. Cette méthodologie est déjà bien appliquée dans les études récentes au sujet du développement régional aux États-Unis, en Chine, en Espagne, en Nouvelle-Zélande, en Russie et au Québec.
Dans le réseau d’espace produit de Laval, nous avons trouvé un haut niveau de diversité industrielle et une complexité économique élevée.
En général, les secteurs d’emploi principaux sont concentrés dans les trois industries stratégiques identifiées par le Service du développement économique (SDÉ) Laval, à savoir, les sciences de la vie (plus de 5000 emplois, 100 entreprises, 11 centres de R et D), l’industrie aérospatiale (près de 2500 emplois, 30 entreprises) ainsi que l’industrie bioalimentaire (118 établissements de transformation, 11 % emplois de la région, 7 % PIB régional).
Cependant, à côté de ces trois industries stratégiques, il y a plusieurs autres secteurs qui profitent d’un avantage comparatif (ACR) élevé à Laval. Il s’agit de l’industrie du design résidentiel, du papier spécialisé, du textile, des équipements, de la fabrication de véhicules, et des produits chimiques. Par contre, bien que le secteur des produits aéronautiques soit toujours important pour cette ville, la compétitivité dans ce secteur n’est pas aussi élevée que dans les autres municipalités québécoises.
La concurrence mondiale pour Laval vient des exportateurs d’Allemagne et de la Chine. En revanche, les États-Unis, le partenaire commercial principal du Canada et du Québec (plus de 70 % des exportations), constituent le plus grand marché pour les entreprises lavalloises.
En ce sens, Laval peut prendre avantage de la proximité géographique et de L’Accord Canada – États-Unis – Mexique (ACEUM) contre les autres concurrents mondiaux. D’autant plus que la concurrence d’autres économies émergentes (Thaïlande, Turquie, Indonésie) remet en question la compétitivité mondiale des entreprises locales à Laval (Les exportateurs principaux des secteurs ACR mondial de Laval). Par ailleurs, en parallèle des États-Unis,le Japon et les membres de l’Union européenne (par exemple, la France et les Pays-Bas) apparaissent comme des destinations potentielles pour former des alliances stratégiques.
Dans le secteur pharmaceutique, toutefois, l’avantage concurrentiel des entreprises lavalloises sur les plans régional et national est plus évident qu’à l’échelle mondiale. Par conséquent, dans ce secteur, Laval devrait attirer les talents locaux et se concentrer sur le marché domestique.
De plus, compte tenu de la compétitivité globale du Québec dans l’industrie aérospatiale en général, les entreprises lavalloises dans ce domaine auraient intérêt à favoriser une expansion mondiale et collaborer avec des entreprises aérospatiales d’autres municipalités du Québec dans les chaînes de valeur mondiales.
La diversification économique orientée par les industries à forte intensité de savoir et de connaissances contribue à la croissance économique et la compétitivité mondiale d’une ville. La réussite économique de Laval affirme ce point.
Pour les décideurs politiques, qui doivent positionner le développement économique local dans la compétition mondiale et identifier les secteurs les plus compétitifs, le modèle du réseau d’espace produit est un outil pratique. Il permet de classifier les secteurs spécialisés avec compétitivité mondiale (mesurés par l’avantage comparatif révélé (ACR)) et lie les industries à forte intensité de connaissances (mesuré par l’indice de complexité du produit (ICP)) par leur proximité de connaissance et. Ces secteurs spécialisés en complexité des connaissances élevée sont des champions locaux que l’on devrait pousser à concourir sur le marché mondial.
Enfin, la pandémie a révélé l’importance du commerce en ligne. Les entrepreneurs et les décideurs politiques doivent accélérer la transformation digitale dans les secteurs locaux pour mieux adapter ceux-ci à l’évolution du marché mondial.