Vague de démissions en France : décryptage d’une tendance de fond

Photo : Vague de démissions en France : décryptage d’une tendance de fond

Le phénomène prend de l’ampleur, et la France n’est pas épargnée : depuis l’année dernière, le pays est touché par des vagues de démissions successives. Si ces départs ont été accélérés par la crise sanitaire, les causes sont parfois plus profondes que le simple rapport au salaire… Rencontre avec Jean-Denis Culié, Professeur en Gestion des Ressources Humaines à l’EM Normandie.

Ils sont 620 000 à avoir démissionné au troisième trimestre 2021 en France. Depuis la crise sanitaire, les vagues de démissions se succèdent. Le phénomène atteint même des chiffres record aux États-Unis : selon le journal Le Monde, « plus de 38 millions de personnes ont quitté leur travail en 2021 ». Et la tendance se confirme en France. « C’est la première fois que nous dépassons la barre des 500 000 démissions » explique Jean-Denis Culié, Professeur en Gestion des Ressources Humaines à l’EM Normandie.

« Aujourd’hui, ce phénomène se dessine de plus en plus nettement, avec un nombre de démissions 40 % plus important qu’en 2019 ». S’il y a un « rattrapage » à la suite de la crise du Covid (certains attendant que les temps soient plus propices pour démissionner), ces vagues de démissions impactent tous les secteurs d’activité, et l’ensemble des catégories socio-professionnelles. « Cela concerne aussi bien les CDI que les CDD. Nous observons également une hausse de 15 % des ruptures conventionnelles par rapport à 2019. Certains secteurs sont davantage concernés le bâtiment, le transport routier, l’hôtellerie-restauration. Le taux de démission est également très élevé chez les consultants » ajoute Jean-Denis Culié.

Deux grandes raisons peuvent expliquer ces vagues de démissions. « La première est économique : les salaires stagnent, le pouvoir d’achat baisse, les salariés sont davantage en position de force et partent pour améliorer leurs conditions de travail, leur salaire ou pour un meilleur équilibre de vie. Mais il y a aussi une seconde tendance de fond, plus délicate, liée à la perte de sens dans le travail. Il y a une certaine saturation de la part des salariés. Beaucoup n’arrivent plus à répondre à la question « pourquoi je travaille ? » ». S’il n’existe pas de données statistiques qui expliquent les causes de ces départs, le salaire n’est aujourd’hui plus l’unique argument.

« Le management, la question du sens au travail ressortent, même si on ne peut pas le quantifier spécifiquement ». Une tendance de fond, amplifiée après la crise sanitaire, qui a profondément requestionné le rapport au travail et accéléré une prise de conscience de certaines réalités. « Dans le monde de l’entreprise, il y a souvent une pression, une urgence ; le « just in time » ; des changements permanents. Les salariés se sentent toujours à la limite de leurs compétences. L’entreprise demande au salarié de s’ajuster, de développer de nouvelles compétences et une fois que les gens sont à l’aise dans leur poste, il y a, de nouveau, un changement, parfois pour revenir à la situation antérieure » ajoute Jean-Denis Culié. « On entend souvent que le travail doit être remis pour hier. Quand un collaborateur travaille pendant des années comme cela, il y a un moment où ce n’est plus possible ».

« Mettre le travail au centre de la relation entre le salarié et l’employeur »

Face à ces modes d’organisation, plusieurs préconisations peuvent être mises en avant, à commencer par le temps et l’autonomie. « Il faut avoir une latitude d’actions qui permet d’avoir une vision plus globale sur le « pourquoi on travaille ». Si les process sont trop rigides, si le salarié participe à un petit maillon de la chaîne dans le processus de production, il lui est difficile de trouver du sens à son travail. Le temps est un sujet névralgique pour les entreprises, c’est cela qui peut provoquer des tensions très importantes ». La crise sanitaire a également entraîné un éloignement avec l’organisation. « L’employeur est plus lointain, les relations avec les collègues se sont diluées. Il y a un recentrage sur un mode de vie plus simple, avec davantage de proximité. Certaines personnes préfèrent partir pour se lancer dans une nouvelle activité, et peuvent décider de travailler moins ou de renoncer à un salaire régulier ».

Ces vagues de démissions encouragent donc les entreprises à revoir leurs pratiques. « Les valeurs portées par les organisations doivent être concrètement mises en œuvre. Il ne faut pas, non plus, apporter des solutions court-termistes. Plus globalement, il faut remettre le travail au centre de la relation entre le salarié et l’employeur. La gestion des ressources humaines s’est emparée de la qualité de vie au travail, le management s’intéresse aux objectifs et aux résultats. Mais ce qui importe aux salariés, c’est de pouvoir bien réaliser leur travail. Cela sous-entend du temps, des moyens et de la reconnaissance. Et, culturellement en France, c’est une vraie source de satisfaction que de bien effectuer ses missions » conclut Jean-Denis Culié. Si ces vagues de départs pourraient durer, elles représentent également pour les entreprises une opportunité pour requestionner leur modèle et leurs pratiques en profondeur.

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