Voici deux ans, l’équipe d’Opteamea était venue sur le campus de Caen pour présenter sa société et, notamment Eyescan, une solution de veille dont la principale singularité est la simplicité d’utilisation. Un produit « tout terrain » qui peut s’appliquer à la fois à l’industrie privée et à ses différentes filières, mais aussi au public et aux collectivités territoriales.
Après des mois passés à prendre des contacts avec les différents acteurs de l’économie pour développer et affiner leur offre, deux des trois associés d’Opteamea, Philippe Dupuy et Bruno Marie, ont bien voulu établir pour nous un premier retour d’expérience et nous initier, in vivo, au fonctionnement d’Eyescan.
Ce qu’ils ont à nous dire est passionnant pour tous ceux qui étudient la mise en pratique quotidienne de l’intelligence économique (IE). Non seulement sur les attentes des acteurs privés et publics, mais sur la révolution culturelle qui reste à accomplir – y compris sur un territoire ô combien pionnier comme la Normandie – pour convaincre le monde économique d’intégrer l’IE dans sa démarche stratégique.
Surtout, ils montrent la voie à suivre pour rattraper le retard français en matière de renseignement économique : cibler ses sources, toujours plus finement, afin de faciliter le travail d’analyse a posteriori. Une discipline dans laquelle Opteamea est devenue leader, en offrant à ses abonnés une information triée, hiérarchisée, bref immédiatement opérationnelle. L’un des nerfs de la guerre pour décrypter les évolutions parfois contradictoires de la globalisation.
Ludovic JEANNE : Un mot d’introduction avant de passer la parole à nos invités. En France, l’IE est une politique publique qui peut se ramener à trois fonctions : la veille, la sécurité et l’influence. Pour m’y investir depuis plus de dix ans, je me suis rendu compte que ce triptyque parlait peu à mes interlocuteurs. Je lui ai donc substitué celui-ci, en réfléchissant sur la question avec mes étudiants de formation continue : « Anticiper – Protéger – Infléchir ». Trois verbes, autrement dit trois actions qui insistent sur les objectifs à atteindre, plutôt que sur les moyens, suggérés par les substantifs. Anticiper, c’est ce que permettent les techniques de veille ; protéger, c’est le but que se proposent d’atteindre les moyens déployés pour se défendre des malveillances ou des captations – intentionnelles ou pas – de valeur ajoutée ; infléchir son environnement et/ou ses relations avec celui-ci, c’est ce que permettent les stratégies d’influence.
Bref, l’essentiel de l’IE, qu’elle soit territoriale ou pas, c’est l’anticipation. L’anticipation, ce n’est pas prévoir le futur, c’est le préparer (selon l’expression du préfet Rémy Pautrat), c’est déterminer les tendances que vont faire naître certains choix qui se transformeront progressivement en véritables mutations. Bref, c’est contribuer à la décision stratégique dans le cadre d’une dynamique d’entreprise, d’une dynamique territoriale, voire étatique. C’est ce qui a été fait ici, en Normandie, grâce au rôle pilote du préfet Rémy Pautrat qui, au milieu des années 1990, en a réellement jeté les bases, non plus seulement théoriques, mais opérationnelles.
Philippe DUPUY : Ludovic Jeanne a eu cent fois raison de travailler sur le vocabulaire de l’IE, y compris sur son intitulé. L’IE est un concept fort pour les chercheurs, mais sur le terrain, il ne parle pas spontanément aux chefs d’entreprise, et spécialement aux patrons de PME, qui apprécient le concret. Pour nous, l’IE, ce n’est pas une discipline, c’est une pratique. Et cette pratique, si nous n’avions à choisir qu’un terme pour la résumer, ce serait le mot de veille. C’est d’ailleurs un abonnement de veille, Eyescan, que nous proposons, entre autres services, à nos clients.
Alors qui sommes-nous ? On a parfois dit qu’Opteama était une start-up. Je préfère dire que, compte tenu de notre âge, nous sommes plutôt… une old-up ! Restons sérieux : Eyescan, notre solution de veille, n’est pas une fin en soi. Nous sommes un cabinet de conseil en management qui, fort de son expérience, a décidé de se mettre au service des dirigeants d’entreprises B to B, plutôt industrielles.
Nous développons trois compétences : la première, c’est l’accompagnement et le diagnostic stratégiques, plutôt mon domaine ; la deuxième c’est le marketing-communication, dont s’occupe principalement notre associée, Magaly Aube Desaunay, qui a mis au point une offre marque-employeur ; la troisième, c’est le digital, avec Bruno Marie, principal maître d’œuvre de l’outil Eyescan, un spécialiste du web qui, précisons-le, est aussi ancien auditeur de l’IHEDN. Trois compétences complémentaires pour un même objectif : la performance de l’entreprise.
Inutile de préciser que la crise sanitaire nous a forcé, comme tout le monde, à revoir nos priorités : les stratégies que nous proposons à nos clients qui, parfois, ont perdu 50%, voire plus, de leur chiffre d’affaires, sont davantage des stratégies d’urgence que des projections à trois ou cinq ans. Notre territoire d’intervention est essentiellement la Normandie, et plus particulièrement l’ex-Basse Normandie.
Quel est notre positionnement ? Contrairement à beaucoup de consultants qui interviennent sur des spécialités, nous revendiquons une approche transversale des problèmes. C’est ce que demandent de plus en plus les chefs d’entreprise confrontés à une surabondance d’informations et qui, absorbés par des tâches chronophages, n’ont pas toujours le loisir de hiérarchiser ce qui leur parvient… Ajoutons à cela le relationnel que nous mettons à leur disposition, qu’il s’agisse des collectivités locales avec lesquelles nous travaillons depuis trente ans, ou des milieux consulaires que nous connaissons aussi très bien.
Bruno MARIE : Ce cadre étant posé, qu’est-ce que la solution Eyescan ? D’abord, c’est le résultat d’un constat : la difficulté, ce n’est plus tant aujourd’hui d’avoir accès à l’information que d’en dégager les éléments stratégiques, qui peuvent servir au développement de l’entreprise. C’est le cœur de notre activité de conseil : non seulement ne pas passer à côté des évidences, mais déceler les « signaux faibles » qui peuvent devenir structurants pour l’avenir, ce que nous appelons des « pépites ». Ce qui peut déboucher sur un autre aspect de notre activité : identifier des partenaires ou des fournisseurs potentiels permettant à nos clients d’élargir leur business en France comme à l’international.
Avant de m’associer avec Philippe et Magaly, j’avais réfléchi de mon côté à un outil qui permette de recenser le maximum d’informations stratégiques, car j’avais bien compris que ce besoin existait, et même augmentait. Et qui dit besoin dit marché. Mais en discutant avec eux, je me suis aperçu que mon outil était trop compliqué à mettre en œuvre et que, si mon intuition était bonne, il fallait simplifier le produit pour le rendre facilement accessible. En fait, une entreprise a besoin principalement de trois types d’informations : les tendances du marché, les produits de ses concurrents, les innovations qui émergent dans le monde. Ce dernier aspect est très important : dans une économie globalisée, les barrières géographiques n’ont plus l’importance qu’elles avaient.
Pourquoi destinons-nous principalement notre outil aux PME ? Parce que nous nous sommes dit que, pour faire nos preuves, il fallait nous adresser d’abord à des structures agiles, où la décision ne nécessite pas de passer par trop de filtres hiérarchiques. Nous ne regrettons pas ce choix car le fait d’avoir évité des procédures trop longues nous a permis de tester notre solution chez un grand nombre d’abonnés et de nous apercevoir qu’elle convenait à des secteurs d’activité très variés et différenciés. Comme nous travaillons quotidiennement sur environ 15 000 sources d’informations et 13 millions de dépêches, intégrant le web, les réseaux sociaux, les newsletters, etc., nous pouvons adapter nos algorithmes aux désirs du client, qui trouve chaque matin ce qu’il désire dans sa messagerie.
Philippe DUPUY : Quelle est notre originalité face à la concurrence ? C’est que nous ne prétendons pas à l’exclusivité. On peut utiliser plusieurs outils qui permettent de faire des recoupements, sauf que ces outils sont dédiés, c’est-à-dire qu’ils ont un périmètre défini. Nous souhaitons, nous, conserver le caractère transversal d’Eyescan, car c’est vraiment ce qui fait son originalité. Mais attention : cela ne veut pas dire que nous n’évoluons pas, bien au contraire : plusieurs clients nous ont ainsi demandé d’ajouter une application relative aux appels d’offre. Nous l’avons fait immédiatement. Mais le concept-clé d’Eyescan, cela reste sa simplicité d’utilisation, pour un coût modéré. C’est cette notion d’usage qui a retenu l’attention de BPI France qui nous a valu un financement French Tech. C’est un peu une « première » car il est rare qu’une entreprise bénéficie de tels financements sans proposer une technologie innovante. Nous sommes fiers d’avoir été reconnus comme proposant une innovation par l’usage.
Précisons aussi que nous n’aurions jamais pu lancer Eyescan sans l’aide de l’Agence de développement de Normandie qui a été séduite par la simplicité de notre produit et la facilité de sa mise en œuvre. Cette facilité, si j’ose dire, n’a pas été « facile » à obtenir : nous avons demandé à des usagers d’utiliser des bêta tests, de remplir des « fiches d’étonnement », nous avons enquêté auprès de chefs d’entreprise pour leur demander ce qu’ils attendaient vraiment, etc. Et c’est au terme de cette démarche que nous avons identifié la principale clé du succès : intégrer la démarche de veille, inséparable d’une perspective stratégique, dans la vie quotidienne de l’entreprise.
Bruno MARIE : … Mais il est bien évident que la veille n’est pas tout et que notre activité de conseil, comme l’a dit Philippe, ne se résume pas à Eyescan. Bien souvent, lors de nos rendez-vous, d’autres besoins apparaissent, qui peuvent être tout autre, de l’ordre du marketing en particulier.
Philippe DUPUY : Pour résumer avant de passer aux questions, quel est notre retour d’expérience ? Commençons par le passif : certains ne discernent pas immédiatement le retour sur investissement d’une démarche de veille et dans certaines entreprises, certains cadres qui en sont convaincus, s’obligent comme ils disent, à « évangéliser » leurs collègues ! Ce que nous faisons nous aussi puisque nous sommes typiquement dans le cadre d’un marché non encore mature. Il faut donc expliquer, expliquer toujours, expliquer encore, chez les opérateurs privés, mais aussi dans les CCI, les collectivités locales, etc. Ce qui est incontestablement chronophage mais réserve aussi de bonnes surprises. La meilleure, c’est de constater qu’une fois cette première étape passée, Eyescan est plébiscité pour avoir réussi à mettre en place une véritable intelligence collective. Surtout, la plupart de nos clients comprennent que l’outil doit faire partie de la stratégie de l’entreprise, qu’il ne peut pas fonctionner isolement.
Présentation d’OPTEAMEA
OPTEAMEA, créée en 2017 et implantée à Saint-Contest (14), est un cabinet indépendant constitué d’une équipe pluridisciplinaire qui propose une offre de conseil en management : stratégie, appui opérationnel, veille, marketing/communication, marque employeur et formation (DATADOCK et QUALIOPI).
Cette offre est dédiée aux TPE/PME, aux organisations d’entrepreneurs (consulaires, organisations patronales, filières, associations).
Elle s’adresse également aux collectivités (via leur service de développement) en matière de conseil, de marketing territorial et de veille économique. OPTEAMEA, c’est l’histoire de trois amis aux compétences différentes, mais complémentaires, qui ont décidé de créer une société au service de l’attractivité des entreprises et des territoires.
Nous co-construisons des solutions innovantes adaptées aux attentes et/ou problématiques de nos clients, pour renforcer leur compétitivité. Nos atouts : un réseau régional fort construit en plus de 30 ans d’expérience, une double approche institutionnelle et entrepreneuriale.
Notre offre s’inscrit dans les grands domaines du parcours de l’entreprise et de la collectivité : 1/ La stratégie : positionnement, développement (croissance interne et externe), déploiement ; 2/ L’intelligence économique et la veille : maîtrise de l’information à partir notamment d’une solution de veille EYESCAN créée et commercialisée par OPTEAMEA ; 3/ Le marketing et la communication : stratégie et plan de communication, stratégie de marque, marque employeur ; 4/ La performance numérique : conception de plateformes WEB complexes, référencement naturel, performance commerciale des sites… ; 5/ Le marketing territorial (études territoriales, valorisation des atouts des territoires/attractivité) ; 6/ La gestion de projets.
Avec les étudiants du M2/MS Str@tégies de Développement et Territoires
• La solitude du chef d’entreprise face à la surabondance d’informations est-elle un phénomène français ou se remarque-t-elle ailleurs dans le monde ?
Bruno MARIE : Elle est malheureusement très française. Une partie de notre travail consiste à apprendre aux chefs d’entreprises non seulement à acquérir l’information mais aussi à la partager, culture que nous possédons mal, contrairement aux Anglo-saxons. Tout le monde est d’accord pour dire que le savoir, c’est le pouvoir. Mais quand on a dit cela, on n’a rien dit. Un Français risque en effet d’avoir pour premier réflexe de garder pour lui ce qu’il sait, tandis que l’Anglais ou l’Américain auront tendance à diffuser l’information stratégique parmi leur management pour le mobiliser dans la conquête de nouveaux marchés. Quand nous effectuons un travail de veille pour un client, nous devons nous préoccuper en même temps de savoir si l’information atteint la bonne cible. Notre interlocuteur la fera-t-elle redescendre vers ses collaborateurs ou, si nous travaillons avec l’un d’eux, celui-ci la fera-t-il remonter de façon satisfaisante vers son patron ? Autre variable importante : le temps. Certains chefs d’entreprises qui travaillent dans l’urgence exigent une information presque instantanée. Or l’instantanéité est parfois contradictoire avec la veille car le recueil de données exige de s’inscrire dans un process, pour pouvoir discerner les évolutions ou, au contraire, les ruptures, les « signaux faibles » comme les « signaux forts » … Il faut un effort psychologique pour s’acculturer au travail de veille. Et c’est à nous d’aider les chefs d’entreprise à le comprendre.
Ludovic JEANNE : L’une des grandes difficultés de l’IE, c’est de convaincre les chefs d’entreprise mais aussi certains décideurs publics que celle-ci les concerne directement, même s’ils n’en ont pas toujours conscience pour les raisons qu’a évoquées Philippe Dupuy, à commencer par leur saturation professionnelle. Beaucoup de patrons de PME, par exemple, mesurent mal l’impact que peut avoir la criminalité financière sur leur activité. Ou encore les conséquences d’arbitrages pris à des milliers de kilomètres de chez eux, par des instances internationales comme l’OMC ou d’autres organismes de régulation… Et je ne parle pas des mesures unilatérales que peuvent prendre des grandes puissances (les États-Unis, par exemple, quand ils utilisent leur droit comme un instrument extraterritorial), ni des différences d’approches culturelles qui peuvent modifier de fond en comble la manière d’aborder un marché… Tout cela peut paraître lointain mais cela pèse en fait très lourd et c’est la vocation de l’IE d’aider les chefs d’entreprise à en prendre conscience. Outre-Atlantique, il y a longtemps que leurs homologues ont intégré le renseignement économique comme un avantage concurrentiel !
Philippe DUPUY : Complètement d’accord ! Un bon exemple est l’importance, souvent sous-estimée, de l’évolution normative qui peut modifier considérablement les paradigmes d’une activité. Beaucoup d’entreprises françaises n’en ont pas conscience car leur zone de chalandise étant limitée, elles s’imaginent protégées du monde extérieur. Autre handicap très français : la pyramide des âges de nos chefs d’entreprise. Une proportion importante de dirigeants a aujourd’hui plus de cinquante ans, beaucoup sont des techniciens purs, voire des autodidactes. La notion de globalisation ne leur échappe pas, mais elle n’est pas leur préoccupation première. On en revient à ce que je disais sur l’abondance d’informations qui tue la capacité de s’informer vraiment. Beaucoup de décideurs passent à côté de nouvelles cruciales, tout simplement parce qu’ils n’ont pas le temps de lire… Ou pire, parce qu’ils en ont perdu l’habitude. Combien de fois me suis-je entendu dire qu’un rapport de veille d’une page était trop long ! C’est là que la pédagogie doit intervenir pour apprendre – ou réapprendre – à certains chefs d’entreprise à faire le tri entre ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas !
Pour illustrer le retard qui est le nôtre, j’ai une anecdote qui en dit long : en 1997, le préfet Pautrat avait organisé, ici même, un colloque sur l’intelligence économique et, parmi les invités, il y avait le DG allemand de l’entreprise Bosch à Mondeville. Lorsqu’un participant lui a posé la question de l’avenir de l’IE, il a éclaté de rire et a répondu : « Mais chez nous, il y a longtemps qu’elle fait partie du business ! ». Et il a ajouté : « Quand vous entrez dans une pièce et que vous allumez la lumière, vous ne vous posez pas la question de savoir si vous utilisez ou non l’électricité. Si vous voulez voir clair, cela va de soi ! ». Donc, oui, il y a problème français avec l’IE, malgré l’effort extraordinaire qui a été fait à la suite du rapport Martre, grâce à des gens comme le préfet Pautrat et beaucoup d’autres…
• Comment faites-vous le tri de vos sources d’informations ? Les fiables, les moins fiables, etc. ?
Bruno MARIE : Aucune source n’entre dans Eyescan si elle n’a pas, auparavant, été validée par un opérateur humain qui va la qualifier sur une échelle de 1 à 5 en termes de pertinence et de qualité. Après quoi elle sera testée individuellement pour voir ce qu’elle produit comme informations. Et c’est seulement après ce stade qu’elle sera amalgamée dans le système. Autre précaution : nous sauvegardons systématiquement toutes les données récupérées, de sorte que si un site web décide de retirer une information, nous pouvons la retrouver.
• Il y a le tri de l’information, il y a aussi le type d’informations retenues. Comment procédez-vous ?
Bruno MARIE : Tout simplement en excluant ce qui, par définition, a très peu de chances de contenir des informations stratégiques pour l’entreprise, comme les sites people ou sportifs. Nous nous focalisons sur l’économie, les grandes filières économiques en faisant en sorte de laisser de côté tout ce qui fait trop de « bruit ». Pour être à l’écoute des « signaux faibles », il faut évacuer d’emblée ce qui empêche d’entendre. Après avoir qualifié la base, il faut la nettoyer et, troisième stade, l’adapter.
• Quelles sont vos grilles de lecture pour catégoriser l’information ?
Bruno MARIE : Celles, d’abord, que nous procure notre expérience. Ensuite, et c’est indispensable, celles que nous communiquent nos clients, surtout lorsque nous travaillons dans un domaine hyperspécialisé. Dans le cas d’un groupe leader dans le secteur de l’électronique, nous avons modelé nos critères de recherche à partir des informations recueillies, en interne, sur ses besoins en recherche-développement.
Philippe DUPUY : Il faut aussi préciser que nous disposons d’un back office, doté d’un thésaurus, chaque source retenue étant classée par secteurs et/ou par filières. Mais l’essentiel reste la pertinence des sources. Les blogs, par exemple. À l’usage, nous nous sommes aperçus que si certains étaient animés par des gens hyper-compétents, visionnaires parfois, d’autres l’étaient par des amateurs, pour ne pas dire des « Charlots » … D’où notre grande prudence s’agissant de ce type de sources, car c’est en leur sein que peuvent prendre naissance les fake news et autres dérives.
• Vous procédez de la même façon pour les réseaux sociaux ?
Bruno MARIE : Exactement, mais c’est plus simple, puisque nous n’entrons dans nos bases, par exemple, que les comptes Facebook d’entreprises. Pour Twitter, on s’intéressera plutôt aux influenceurs reconnus comme tels. Pour les blogueurs, comme l’a dit Philippe, nous ne retenons que ceux qui se spécialisent dans quelques domaines-clés. Nous regardons, au cas par cas, les informations qu’ils ont pu diffuser, pour voir si leur contenu tient la route dans la durée.
• Comment êtes-vous certains de ne pas passer à côté d’une bonne source ?
Bruno Marie : Quand on s’intéresse à un sujet, on commence par lancer nos requêtes dans différents moteurs (Google, bien sûr, mais aussi Bing, Qwant, etc.) et métamoteurs. Quand les résultats tombent, on remonte aux sites et on va les visiter systématiquement sur les 20, 30, 40 premières pages de chacun des moteurs. C’est un travail long, fastidieux, mais rigoureusement indispensable… Et qui sécurise la recherche !
Philippe Dupuy : J’ajoute que l’Intelligence artificielle (IA) va nous aider de plus en plus à limiter nos impasses possibles. Je m’explique. La plupart de nos abonnés nous demandent des requêtes très précises. Ce que nous essayons de faire, c’est d’y ajouter des requêtes approchantes, fondées non plus seulement sur le sens littéral mais sur la sémantique. Et grâce à notre partenaire en IA, nous allons de plus en plus proposer à nos clients d’ajouter cette dimension pour élargir nos champs d’investigation.
ANALYSE
Par Ludovic JEANNE
L’Intelligence économique, comme culture du stratégique, semble progresser dans nos tissus économiques et dans nos entreprises, mais probablement pas aussi vite qu’il le faudrait ; en particulier sur les territoires où se jouent pourtant des décisions stratégiques quant au destin économique tant des PME/PMI et TPE/TPI que de leurs salariés et donc du territoire dans son ensemble. Bien des difficultés ne sont pas des fatalités ; et bien des rendez-vous manqués non plus. Les nombreux exemples vertueux et encourageants ne doivent pas occulter que diffuser plus largement, plus systématiquement, plus efficacement la culture « IE » reste un défi collectif, tant pour la puissance publique que pour les acteurs privés.
L’un des obstacles à cette diffusion plus large, à cette culture du stratégique mieux partagée est peut-être la relation culturelle et politique au renseignement et à l’information. En effet, pourquoi la question du renseignement et de l’information économiques reste-t-elle encore trop souvent marginale dans la perspective et les priorités des chefs d’entreprise ? Au-delà de la connaissance de leur univers « business » immédiat, beaucoup d’informations et de renseignements – correctement interprétés – peuvent revêtir un caractère crucial : sur des technologies émergentes qui, demain, éteindront celle à laquelle on recourt maintenant ; sur des investissements publics ou privés qui pourraient faire émerger de nouveaux concurrents et modifier le marché ; sur des événements géopolitiques ou d’autres types de crises possibles, voire probables, susceptibles d’affecter l’accès à un marché ou la sécurité d’un approvisionnement ; sur de nouveaux modèles économiques, capables de rivaliser avec celui sur lequel on s’appuie ; sur des évolutions sociétales susceptibles d’affecter positivement ou négativement l’activité, etc.
Autrement dit, le spectre d’information, de renseignement et de connaissance sur lequel doivent s’appuyer les décideurs économiques (privés comme publics) semble toujours s’élargir, se complexifier, se diversifier. En réalité, le problème n’a jamais été, et n’est toujours pas de collecter un maximum d’information ou de renseignement. Le problème de l’IE, en tant que processus de renseignement économique pour aider à la décision stratégique, reste de réunir des informations et des renseignements qui se révèleront pertinents au cours de leur interprétation, processus qui lui-même s’imbrique dans la construction de la décision.
Il y a là un paradoxe pratique et profond : on ne peut tout savoir MAIS il faut faire « en sorte » de savoir ce qu’il est nécessaire de savoir, sans jamais pouvoir être sûr cependant que l’on dispose de toutes les informations et de tous les renseignements nécessaires et suffisants. De fait, pour réussir ce processus de construction de la décision stratégique – car là réside le véritable objet de l’IE – il n’est plus possible de procéder selon les paradigmes opérant d’avant la révolution de l’Internet. Hier, le problème principal était de « trouver » de l’information, comme on cherche de l’eau dans un désert. Aujourd’hui, c’est un truisme, le problème est, non de trouver l’information – elle est « déjà là » quelque part sur le Net – mais de séparer celle qui peut nous être utile de celle qui probablement ne l’est pas, comme on chercherait un arbre dont le bois a une qualité particulière dans une immense forêt. On est ainsi passé d’un modèle de « capture » à un modèle de « distillation ».
Aussi, pour atteindre de tels objectifs, avons-nous besoin de deux grands types d’outils :
• Les outils de « distillation » stricto sensu. Autrement dit, ceux permettant d’identifier l’information ayant une valeur potentielle élevée. Ce dont on ne saurait être « sûr » qu’à l’issue du processus d’interprétation et d’analyse ;
• Le savoir-faire lié au processus d’assemblage, en l’occurrence la construction de sens. Ce qui implique de savoir interpréter les données et les informations en vue de la production d’une connaissance pertinente et utilisable par les décideurs.
C’est là qu’Opteamea « frappe fort ». Par le biais d’une véritable approche pédagogique ad hoc pour chaque client, l’équipe a développé un outil pertinent, efficace et ergonomique certes, mais dont la force est ailleurs, à savoir dans la méthode de mise en œuvre, méthode que l’on pourrait synthétiser par la formule : « l’innovation par l’usage ».
Généralement, le recours à un outil implique une attente d’efficacité immédiate et « impersonnelle » de sa part. Une telle posture repose sur la croyance que les outils « numériques » n’ont rien à voir avec les outils « physiques ». Sans doute parce que domine la croyance que l’efficacité de l’outil numérique est « dans » l’outil lui-même et non dans un quelconque savoir-faire de son utilisateur. C’est oublier qu’apprendre, et donc s’entrainer, à utiliser un outil numérique (ici la solution Eyescan) est nécessaire : cela s’appelle le « savoir-faire ». Opteamea ne fournit pas un outil mais un service pour apprendre à l’utiliser de la façon la plus efficace pour telle entreprise, dans tel contexte, à tel moment de son développement.
Quelle leçon majeure les dirigeants de PME/TPE peuvent-ils tirer d’un tel constat ? D’abord, que l’outil peut être le vecteur d’un processus : en partageant une même information entres des parties prenantes au sein d’une organisation, on suscite, nourrit et accompagne un processus informel mais efficace de co-construction de cette analyse qui produira finalement ce qui est visé : une connaissance partagée, une intelligence collective. Ensuite, que la décision, dans ce contexte, se confond largement avec un processus de délibération plus ou moins collectif à des fins de production de connaissance. Autrement dit, il s’agit là d’un enjeu majeur pour le territoire, dont le résultat ne peut être que positif pour l’ensemble les acteurs concernés.
La note en intégralité :
BIOGRAPHIES
Philippe DUPUY
Conseil aux entreprises et aux territoires, constitution et animation de clubs et réseaux d’entreprises, gestion de projets économiques stratégiques, marketing territorial et création d’évènements.
- Responsable des services administration des ventes export et France chez Peugeot SA Panhard.
- Conseil aux entreprises et aux territoires, directeur général de la CCI Caen Normandie.
Principales références : - Conseil aux créateurs et repreneurs d’entreprises commerciales, industrielles et de services (comme Entreprendre en France).
- Création et animation de clubs d’entrepreneurs et de rencontres.
- Création d’évènements économiques : les Nouveaux Normands, les Rencontres d’affaires de Normandie…
- Création d’outils de développement (Calvados Initiative, fondation Mécènes Caen Normandie, Chambre de commerce franco-Britannique, partenariat financier au Dôme…).
- Marketing territorial : création de l’Espace de Valorisation Economique Régional (EVE), Les visites du Jeudi (Tourisme de découverte économique) …
Bruno MARIE
Conseil dans les domaines de la digitalisation, de la veille marché et de l’intelligence économique. Directeur associé OPTEAMEA depuis 2017.
- Directeur pendant 14 ans de Web-Interactive, une agence digitale (site web et E-Commerce).
- Directeur de Kairos System, cabinet d’intelligence économique.
Principales références : - Conseil Régional de Basse Normandie, CCI normandes (dont l’Espace de valorisation Economique Régional EVE), Chambre des Métiers et de l’Artisanat normands (CIFAC…).
- Agences de développement économique normandes, Offices de tourisme (Sables d’Olonne).
- Pôles de compétitivité (Hippolia), nombreuses communes (Epron…), Unions commerciales (La Roche-sur-Yon).
- Près d’une centaine d’entreprises dont L’Oreal, Acome, Groupe Chèque Déjeuner, ENGIE….
Crédit photos : Maryvonne Desdoits
ABSTRACT
CONVERTING ENTREPRENEURS AND REGIONS TO ECONOMIC INTELLIGENCE:
A FEEDBACK FROM OPTEAMEA
Two years ago, the Opteamea team came to our Caen campus to present its company and, in particular Eyescan, a monitoring solution whose main originality is its ease of use. An “all-terrain” product that can be relevant for both private industry and its various sectors, but also for the public and local authorities.
After months spent in making contacts with the various players in the economy to develop and refine their offer, two of Opteamea’s three partners, Philippe Dupuy and Bruno Marie, were kind enough to provide us with initial feedback and introduce us, in vivo, to the functioning of Eyescan.
What they have to tell us is exciting for anyone studying the daily practice of business intelligence (economic intelligence – EI, in France). Not only on the expectations of private and public stakeholders, but on the cultural revolution that remains to be accomplished – including in such a pioneering region like Normandy – to convince the economic world to integrate EI into its strategic approach and practices.
Above all, they show the way forward to catch up with France’s backwardness in terms of economic intelligence’s diffusion: target its sources, always more precisely, in order to facilitate the work of a posteriori analysis. A discipline in which Opteamea has become a leader, by offering its subscribers a sorted and hierarchical information, in short immediately operational. One of the sinews of war in deciphering the sometimes-contradictory developments of Globalization.