Depuis sa création en octobre 2018, la chaire « Modèle Entrepreneuriaux en Agriculture » (MEA) a pour mission d’explorer le monde agricole et ses évolutions afin de les faire découvrir à ses étudiants et alimenter les réflexions des acteurs économiques et institutionnels. Dans cette optique, les récents ateliers agri-connexions ont été l’occasion d’échanger autour d’un sujet central : la question de l’agriculture connectée et des nouvelles technologies dans le monde agricole vue par de futurs agriculteurs. Retour sur ces échanges.
Organisés en partenariat avec le lycée agricole de Tourville-sur-Pont-Audemer, ces ateliers ont rassemblé des étudiants futurs agriculteurs pour échanger autour des évolutions du monde agricole à travers 4 ateliers. Parmi les sujets abordés lors de cet événement, la question de l’agriculture connectée et son impact sur le monde agricole a occupé une place centrale et a révélé deux écoles de pensée distinctes.
Agriculture connectée : de quoi parle-t-on ?
L’agriculture connectée peut se définir comme l’ensemble des technologies numériques et services utilisés par les agriculteurs pour les assister et les conseiller dans leur activité. Bien que certaines technologies soient présentes depuis plusieurs années dans le quotidien du monde agricole (robots de traites, alimentation automatique des animaux grâce à un collier électronique, utilisation des données météorologiques, etc.), l’évolution récente va à la convergence et à l’interaction de ces différents systèmes les uns avec les autres. Ainsi, on obtient des tracteurs munis de puces GPS leur permettant de fonctionner de manière semi-autonome pour optimiser l’épandage, des drones scannant les champs pour détecter les besoins en eau, etc.
En revanche, cette utilisation n’est pas encore généralisée et soulève des questions qui dépassent le cadre technologique.
Une évidence pour la nouvelle génération ?
Au regard des participants présents à ces ateliers, on aurait pu penser que l’agriculture connectée aurait remporté une adhésion globale du fait de l’appétence des jeunes générations pour ce qui a trait à la technologie. Suite à cette table ronde, la réponse paraît moins tranchée entre ceux qui sont favorables à la montée en puissance de l’agriculture connectée et ceux qui, au contraire, ont un regard réfractaire sur la question.
Des arguments favorables
Auprès des participants favorables à l’apport de la technologie dans l’agriculture, trois arguments étaient avancés : la possibilité d’optimiser sa production, l’automatisation comme facilitateur de certaines tâches quotidiennes et la réduction de l’impact environnemental.
Optimisation du processus de production agricole
Parmi les arguments mis en avant, celui de l’optimisation du processus agricole a remporté le plus de suffrages. En effet, les nombreux outils d’aide à la décision permettent d’avoir un maximum d’informations avant d’agir, ou pas. Diagnostics du terrain, gestion automatique des stocks, stations météo connectées par des réseaux bas-débit permettant d’anticiper les maladies végétales, etc. autant d’exemples de tâches autrefois chronophages devenues automatisables grâce à l’apport technologique.
L’automatisation comme un moyen de se dégager du temps
Bien que la ferme autonome gérée à 100% via un appareil connecté ne soit pas encore d’actualité, l’apport des nouvelles technologies et des avancées en terme d’automatisation permettent à l’agriculteur de passer moins de temps sur son exploitation et plus de temps pour vivre en dehors de la ferme. Dans une profession accaparée par des tâches 7 jours sur 7, pouvoir recevoir des notifications sur son smartphone et gérer certains paramètres à distance (irrigation, nourriture du bétail, etc.) permet de se détacher de son activité pour s’accorder des moments de répit.
Réduction de l’impact environnemental
L’agriculture est responsable de près d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Élevages, engrais, épandages, etc. : nombreuses sont les sources de pollution pouvant être imputées au secteur agricole. Ainsi, l’arrivée d’une technologie pouvant permettre de réduire cet impact est vue d’un bon œil pour une partie des futurs agriculteurs présents. Grâce à des systèmes de tracteurs connectés faisant appel à des systèmes satellites et à l’Intelligence Artificielle, il est possible d’optimiser le trajet parcouru par ceux-ci, limitant ainsi les kilomètres parcourus ainsi que la quantité d’engrais utilisée.
Une vision contrastée de l’apport technologique
Sans adopter une posture de rejet de l’apport technologique pour une exploitation agricole, le sentiment général dominant auprès de ses réfractaires était l’éloignement du modèle « traditionnel » de l’agriculteur au profit d’une certaine déshumanisation de la profession, de la primeur accordée à la donnée et de la réduction relative de l’impact environnemental.
Vers une déshumanisation du modèle agricole
Premier grief adressé aux pro-connectés, la déshumanisation du modèle agricole tel qu’acquis dans l’inconscient collectif. La vision de l’agriculteur au cœur de son exploitation, au plus près de son bétail et connaissant parfaitement ses terres reste pour beaucoup la position à adopter. Ainsi, faire appel à des technologies avancées reviendrait à renier cette tradition et à prendre ses distances avec ce modèle.
Le danger de la primeur à la donnée sur la connaissance de la terre
L’usage de la donnée est omniprésent dans notre quotidien et le secteur agricole n’y fait pas exception. Informations météorologiques, cartographie de leurs exploitations, logiciels indiquant quand arracher ses betteraves, sondes anti-incendie dans les granges, etc. le nombre de données d’aide à la décision accessibles aux agriculteurs est colossal. Au point d’éclipser l’expertise humaine ? C’est en tout cas une des craintes relevées lors des échanges.
Une réduction relative de l’impact environnemental
Sans que l’impact de l’agriculture sur la consommation énergétique mondiale soit remis en cause, il convient de mettre l’apport technologique en perspective notamment au niveau de la consommation électrique induite par l’agriculture connectée. En effet, si la technologie peut permettre à un tracteur de moins consommer de carburant ou d’utiliser moins d’engrais, le coût énergétique d’alimenter les serveurs et autres bases de données est bien souvent occulté.
Les impacts de l’agriculture connectée sur le monde agricole
En ce qui concerne l’impact global de l’agriculture connectée dans le monde agricole, les participants à la table ronde ont exprimé une nouvelle fois deux visions tranchées entre le caractère inéluctable de l’évolution technologique d’une part et la volonté de chercher de nouvelles voies d’autre part.
Un changement d’époque
Pour une partie de l’assemblée, l’arrivée des nouvelles technologies dans le monde agricole s’apparente à l’étape suivante de sa transformation, de la même manière que l’apparition du machinisme a bouleversé le modèle en place à la fin du XIXe siècle. Cet apport technologique avait en son temps lui aussi connu une certaine résistance dans les mentalités au moment de la révolution agricole avant d’être massivement adopté après la deuxième guerre mondiale. Se détourner de cette évolution technologique serait prendre le risque de se retrouver en marge du développement économique de l’agriculture connectée et de réduire le potentiel commercial de son exploitation.
D’autres voies existent
Face à ces arguments, plutôt que d’adopter une position opposée, l’autre vision de l’assemblée a proposé des alternatives dans lesquelles d’autres voies étaient possibles sans avoir recours aux nouvelles technologies pour tout contrôler. Permaculture, agriculture biologique et autres voies alternatives vont dans ce sens, sans renier l’apport technologique indéniable ni participer à la course en avant enclenchée. En effet, adopter une démarche de transformation technologique implique des investissements financiers importants qui encouragent une augmentation de la taille d’une exploitation afin d’être rentable.
Conclusion
Agricultures alternatives et agriculture connectée sont-ils nécessairement opposables ? Sommes-nous obligés d’adopter une logique du « tout ou rien » ? Si la matinée d’échanges n’a pas permis de donner une réponse définitive à ces questions, ni aux deux courants de pensée de trouver un terrain d’entente, ces discussions ont placé la question de la définition du métier d’agriculteur à l’ère du numérique au centre des débats.
A l’heure où de nouveaux défis approchent comme le changement climatique, la gestion de la collecte d’informations massives engendrée par le Big Data ou encore la place de l’entrepreneuriat, on peut assurément penser que le secteur agricole n’en est qu’au début de ses bouleversements. Autant de sujets qui seront abordés dans de prochains ateliers agri-connexion, un espace d’interactions privilégié entre enseignement supérieur et monde agricole.