Atteindre la neutralité carbone exigera 3 859 milliards d’euros par an jusqu’en 2050

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Comment récolter cette somme colossale ? Une étude menée auprès de 42 pays souligne que la stabilité institutionnelle permet d’assurer le développement de la finance verte. Ses conclusions sont nettes et sans bavure : les pays avec un cadre réglementaire solide s’en sortent le mieux.

La planète réclame une facture colossale : 3 859 milliards d’euros par an jusqu’en 2050 pour éviter le chaos climatique, selon l’Agence internationale de l’énergie. L’écart reste abyssal entre cette urgence climatique et les capitaux levés pour financer cette transition.

Notre étude couvrant 42 pays entre 2007 et 2023 rappelle une bonne nouvelle : la finance verte se déploie durablement là où les États offrent un cadre clair et cohérent. Comment, concrètement, fonctionne cette corrélation?

Réduire l’incertitude

Nos résultats montrent que plus un pays adopte des politiques environnementales ambitieuses, plus le volume d’obligations vertes émises sur son territoire augmente. L’indice utilisé dans cette étude, fondé sur les données de l’Agence internationale de l’énergie, recense l’ensemble des mesures environnementales adoptées dans le monde. Il correspond au nombre total de lois, réglementations et plans d’action environnementaux en vigueur dans chaque pays. Plus ce stock de règles est élevé, plus le cadre climatique national apparaît développé, prévisible et crédible pour les investisseurs.

Ce lien s’explique par un mécanisme simple : un environnement réglementaire clair réduit l’incertitude sur les futures politiques climatiques. Les émetteurs d’obligations vertes savent quelles activités seront financées, tandis que les investisseurs disposent d’un cadre pour évaluer la rentabilité des projets. De facto, la demande d’obligations vertes croît, réduit leur prime de risque, et stimule mécaniquement leur volume d’émission.

L’Europe en pointe

Cette dynamique se vérifie particulièrement en Europe. Selon l’Agence européenne de l’environnement, la part des obligations vertes dans l’ensemble des obligations émises par les entreprises et les États de l’Union européenne est passée d’environ 0,1 % en 2014 à 5,3 % en 2023, puis 6,9 % en 2024.

Dans ce contexte, la taxonomie verte européenneet le reporting obligatoire sur les risques climatiques et les indicateurs ESG – CSRD, SFDR– instaurent un cadre d’investissement harmonisé, facilitant l’allocation de capitaux vers les actifs verts. La France illustre cette dynamique européenne. Elle ouvre la voie dès 2017 avec une obligation verte de sept milliards d’euros sur vingt-deux ans, émise par l’Agence France Trésor. Selon une étude de la Banque de France, les obligations souveraines vertes de la zone euro offrent en moyenne un rendement inférieur de 2,8 points de base (0,028 point de pourcentage) à celui d’obligations souveraines classiques comparables. Cet écart, faible mais régulier, est interprété par la Banque de France comme une « prime verte ». Concrètement, les investisseurs acceptent de gagner un peu moins pour détenir des titres verts.

La Chine rattrape son retard

À ce jour, les gouvernements du monde entier ont adopté environ 13 148 réglementations, cadres et politiques visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. En Chine, les réformes des critères ESG en 2021 et 2022, ainsi que leur alignement avec les standards internationaux, ont placé le pays parmi les tout premiers émetteurs mondiaux d’obligations vertes, selon la Climate Bonds Initiative. En Afrique du Nord, l’Égypte s’est lancée avec une première obligation souveraine verte en 2020, soutenue par la Banque mondiale.

Dans ces économies, un cadre réglementaire stableest également associé, dans nos données, à des maturités moyennes pondérées plus longuespour les obligations vertes. Lorsque le cadre réglementaire se renforce, les obligations vertes présentent en moyenne des échéances de dix à vingt ans, plutôt que de quelques années seulement. L’enjeu : financer des projets de long terme, comme des infrastructures énergétiques ou de transport.

L’Italie, l’Espagne, l’Inde et l’Indonésie vulnérables

L’effet des politiques climatiques sur la finance verte est particulièrement marqué dans les économies « vulnérables sur le plan énergétique ». Dans notre étude, nous avons utilisé deux indicateurs: la part des importations nettes d’énergie dans la consommation nationale et l’intensité énergétique (consommation d’énergie rapportée au PIB).

À titre d’illustration, des pays européens fortement importateurs d’énergie, comme l’Italie ou l’Espagne, et des économies émergentes à forte intensité énergétique, comme l’Inde ou l’Indonésie, présentent ce profil de vulnérabilité. Nous classons ensuite les pays de notre échantillon selon leur degré de vulnérabilité énergétique à partir de ces deux indicateurs. Lorsque l’on compare l’évolution des émissions d’obligations vertes dans les économies les plus vulnérables à celle observée dans les autres pays de l’échantillon, on constate qu’un même durcissement des politiques climatiques s’y traduit par une augmentation nettement plus rapide du recours à la finance verte.

Réduire la dépendance aux énergies fossiles

En Europe, la crise énergétique de 2022 et le lancement de REPowerEUont profondément reconfiguré le lien entre politique climatique et sécurité énergétique. Face à la flambée des prix du gaz, l’Union européenne a accéléré la réduction de sa dépendance aux combustibles fossiles importés. Selon le Conseil de l’Union européenne, la part du gaz russe dans ses importations de gaz est passée de plus de 40 % en 2021 à environ 11 % en 2024 pour le gaz acheminé par gazoducs ; à moins de 19 % si l’on inclut le gaz naturel liquéfié. Dans le même temps, la capacité solaire de l’Union européenne a presque triplé depuis 2019pour atteindre un peu plus de 300 GW en 2024, et les énergies renouvelables ont fourni près de 47 % de l’électricité européenne.

Ces transformations s’accompagnent d’un effort d’investissement massif. La Commission européenne a décidé de lever jusqu’à 30 % du plan NextGenerationEU sous forme d’« obligations vertes NextGenerationEU », soit un volume potentiel d’environ 225 milliards d’euros. De leur côté, plusieurs États membres ont mis en place des programmes souverains importants : en France, l’encours des obligations assimilables du Trésor vertes (OAT vertes) atteignait environ 70 milliards d’euros fin 2023.
Pour les décideurs, l’enjeu n’est donc pas de multiplier les annonces, mais de fixer un cap crédible dans la durée.

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