Les territoires oubliés de l’élection présidentielle

Photo : Les territoires oubliés de l’élection présidentielle

Le 3 juin 2014, le président de la République française François Hollande annonçait le lancement d’une réforme dont l’objectif était de changer l’architecture territoriale de la République : la fameuse loi NOTRe (loi portant nouvelle organisation territoriale de la République). L’ambition du Président était de simplifier et de clarifier l’organisation territoriale de la France avec cette réforme, pour que chacun sache qui est en charge, qui finance et à partir de quelles ressources, en somme un vrai big bang territorial !. Six ans plus tard, où en est-on ? Quelle considération de la place des territoires dans le quinquennat d’Emmanuel Macron qui défend la ré-industrialisation et l’attractivité de ces territoires ?

Une rationalisation des dépenses budgétaires, vraiment ?

L’argument le plus souvent avancé, et probablement le plus discuté aussi, porte sur la rationalisation des dépenses budgétaires publiques en passant de 22 à 13 régions. Le gouvernement justifie alors les économies budgétaires sur les collectivités locales en promettant de contenir la hausse de la fiscalité locale et de libérer des capacités d’investissement public.

Lors de la présentation du projet de loi le 14 juin 2015 devant le Sénat, des chiffres ont été avancés par André Vallini, le secrétaire d’État à la Réforme territoriale, qui annonçait des économies d’environ 25 milliards d’euros, bientôt réduites à 15.

Aujourd’hui, de nombreuses régions françaises ont vu leur budget de fonctionnement augmenter. Selon une étude menée par l’Institut français pour la recherche sur les administrations publiques et les politiques (Ifrap), les dépenses des treize nouvelles grandes régions ont augmenté de 2,6 milliards d’euros entre janvier 2016, date de leur création, et 2017. Par exemple, les dépenses de la région Grand Est ont augmenté de 14 %, ce qui représente 444 euros par habitant. Plusieurs facteurs expliquent ces hausses.

La fusion des régions a nécessité l’alignement des salaires des fonctionnaires des anciennes régions sur le salaire le plus favorable. Par exemple, le nivellement a coûté 10 millions euros à la région Normandie.

L’agrandissement des régions a aussi généré des coûts supplémentaires qui n’avaient pas été nécessairement anticipés. C’est le cas de la région Occitanie : aucun des deux hémicycles ne peut accueillir les 150 élus du conseil régional : si celui situé à Toulouse pouvait faire l’objet de travaux d’aménagement à cette fin, pour un montant estimé à 7 millions d’euros par la collectivité, la configuration de celui de Montpellier exclut toute possibilité de redimensionnement substantiel.

La collectivité fait donc appel à un prestataire pour organiser ces sessions au parc des expositions de Montpellier, pour un coût unitaire initial de 140 000 euros, ramené à 98 000 euros.

Les effets pervers de la fusion des régions et de la métropolisation

La fusion des régions a agrandi leur taille. Il est évident que cette augmentation implique qu’une partie plus importante de la population est éloignée des centres de décision, notamment de la capitale régionale.

Cette distance pourrait conduire au sentiment d’un nouvel éloignement de l’État des territoires ruraux ou périphériques, considérés comme abandonnés. On peut ainsi s’attendre à une baisse de la qualité, voire à une absence ou une suppression des services de proximité, dans un contexte de réduction des coûts. Ce phénomène, déjà observé dans de nombreuses zones rurales, inquiète les élus, qui se sont plusieurs fois mobilisés contre les effets néfastes de la nouvelle loi. Du fait des réformes, certains ont notamment souligné l’affaiblissement considérable du rôle du maire et des élus du conseil municipal, avec un assèchement des ressources de la commune et un transfert des compétences à l’échelle intercommunale.

Par ailleurs, on a assisté à une véritable métropolisation de la France avec la mise en œuvre de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPAM » ou « loi MAPTAM ». Le « tout métropole » inquiète aujourd’hui toute une partie de la population qui se sent exclue des bénéfices potentiels qu’elle pourrait tirer des métropoles. Le ruissellement des métropoles vers les territoires ruraux est loin d’être une évidence.

Le déclin de l’offre de services publics

Le déclin de l’offre de services publics dans de nombreux territoires périphériques, qui entraîne un sentiment de frustration et d’abandon de la part de l’État, est devenu une réalité. Un certain nombre de petites et moyennes villes rurales déclinent à mesure que le secteur agricole perd de son importance et que peu d’alternatives sont disponibles. Il est difficile pour ces territoires, qui souffrent d’un manque de connexions avec les grands centres productifs, de se réinventer et de réactiver une dynamique économique.

On peut rappeler que dans d’autres pays européens, comme le Royaume-Uni ou l’Espagne, ces décisions de laisser de côté certains territoires ont pu conduire à la création d’une géographie du mécontentement posant des problèmes en termes de montée du populisme et de désintérêt croissant des citoyens vis-à-vis de la politique.

En France, la crise des « gilets jaunes » a montré que les territoires oubliés comptent et que cette question doit être abordée. De manière générale dans les pays développés, la recherche de performance des politiques publiques a généré une diminution des services publics dans les territoires qui étaient déjà en difficulté. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’une partie de la population, qui ne bénéficie plus de ces services – ou dont la qualité s’est dégradée – ne croit plus au gouvernement et fait valoir ses revendications en manifestant ou en votant pour des partis des extrêmes.

Quel salut pour les territoires oubliés ?

La réforme semble bénéficier à certains types de territoires (les plus urbanisés) et en défavoriser d’autres (les zones rurales), et le ruissellement territorial annoncé n’est pas systématiquement au rendez-vous. Les outils comme la mise en place de zones de revitalisation rurale (ZRR), pourtant intéressants pour les territoires bénéficiaires, restent trop rares. Selon un rapport du Sénat, par exemple, en Lozère, les exonérations fiscales et sociales accordées ont ainsi permis de créer ou de maintenir de nombreux emplois – par exemple 222 ETP dans le secteur médico-social – et de réaliser un certain nombre d’investissements dans les établissements. Néanmoins, par manque de lisibilité, seules 2,3 % des communes en profitent, alors que plus de 50 % d’entre elles pourraient y prétendre.

Par ailleurs les possibilité d’expérimentation des collectivités territoriales apparaissent également largement sous-utilisées, comme nous le montrons dans un article récent, alors qu’elles pourraient donner naissance à des dynamiques locales intéressantes.

Pourtant tout n’est pas perdu, et de nombreuses initiatives provenant des territoires laissent à penser qu’un développement endogène, soutenu par les actions et initiatives des populations locales, est possible et peut conduire à la création et au succès de systèmes économiques locaux. Un nombre croissant d’exemples attestent d’une large capacité d’innovation et de créativité, y compris dans des territoires ruraux ou considérés comme périphériques, pas nécessairement liées à un haut niveau d’industrialisation ou de spécialisation productive. Ils révèlent la vitalité des territoires, qui démontrent leur dynamisme et leur capacité de renouvellement en mobilisant les forces locales.

Les circuits courts de proximité, en plein développement, en particulier depuis la crise du Covid, permettent de rapprocher les producteurs (souvent des agriculteurs) et les consommateurs, d’identifier l’origine des produits et d’éviter les intermédiaires industriels jugés trop coûteux ou dangereux pour la santé. S’y ajoute une dimension sociale inclusive, par la familiarité avec le producteur, les relations de collaboration dans la production, ou l’intégration et la recréation de liens sociaux, comme les sociétés coopératives, la création d’épiceries solidaires ou les lieux de distribution et de vente de produits.

D’autres modes de collaboration

Les tiers lieux, un phénomène constaté dans tous les territoires, se multiplient dans les zones rurales. Ces espaces de rencontre favorisent la mise en commun des connaissances et des savoir-faire, au bénéfice de la production de biens ou de l’invention de services locaux. La collaboration entre professionnels et amateurs ou profanes éclairés permet de mobiliser les énergies, de créer des chaînes de valeurs et de compétences, et de mettre en place de nouvelles idées, comme l’agroécologie par exemple. Elle est soutenue depuis mars 2021 par la politique des Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE).

L’économie circulaire, promue de manière très volontariste par l’ADEME, contribue à la création de richesse dans les territoires. À l’opposé de l’économie linéaire, qui conduit à la production de produits et de déchets non recyclables, elle permet de créer une boucle vertueuse au niveau local. En particulier les déchets sont réutilisés dans la production ou transformés en énergie qui sert à la fabrication de nouveaux biens ou aux besoins des populations. La méthanisation, en croissance très forte ces dernières années en France, en est le meilleur exemple.

Alors, ces innovations seraient-elles finalement une opportunité pour les territoires perdus aux frontières des macro-régions et loin des pouvoirs publics ? Voire une opportunité à saisir pour les politiques ? Ou alors, est-ce qu’elles restent trop particulières ou modestes pour entraîner de véritables dynamiques territoriales ? Une chose est sûre, les candidats à l’élection présidentielle ne pourront pas faire sans ces territoires oubliés, qui ont su bien souvent se rappeler à leur attention, dans les urnes ou dans la rue.

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