Réparer plutôt que jeter : focus sur le futur « right to repair » européen

Photo : Réparer plutôt que jeter : focus sur le futur « right to repair » européen

Voici les changements apportés par le futur « right to repair » européen 

L’ère du tout jetable est-elle sur le point de s’achever ? C’est du moins l’ambition affichée par la directive relative au droit à la réparation proposée par la Commission européenne qui espère mettre un terme au modèle linéaire en privilégiant la réparation à l’achat. Cette nouvelle directive prévoit de nouveaux droits ainsi que des incitations pour rendre les réparations plus attrayantes et plus simples, notamment après l’expiration de la garantie légale.  

« Avec l’accord d’aujourd’hui, nous nous rapprochons de l’établissement d’un droit des consommateurs à la réparation. À l’avenir, il sera plus facile et moins coûteux de faire réparer des produits plutôt que d’en acheter de nouveaux », déclarait le rapporteur René Repasi (S&D, DE) à l’issue des négociations entre les différentes instances de l’Union européenne.   

Un nouveau virage industriel qui va inciter les fabricants à concevoir des produits facilement démontables et réparables. Décryptage.  

LES DÉCHETS ÉLECTRONIQUES AUGMENTENT, LES CONSÉQUENCES ENVIRONNEMENTALES AUSSI 

Les données d’Eurostat confirment la tendance à l’augmentation du nombre d’appareils électroniques entrant sur le marché de l’UE et, par conséquent, de la quantité de déchets générée.  

  • Plus de 13 millions de tonnes d’équipements ont été vendues dans l’UE en 2021, soit une augmentation de plus de 85 % depuis 2013.  
  • En 2021, 4,9 millions de tonnes de déchets électroniques ont été enregistrées (11kg par personne en moyenne dans l’UE), soit 3,9 % de plus qu’en 2020  
  • Par habitant, les plus gros consommateurs d’équipements dans l’UE sont les Pays-Bas (35,1 kg), l’Allemagne (31,3 kg), le Danemark (30,7 kg), la France (30,5 kg) et la Belgique (29,2 kg). 

Déchets d’équipements électriques et électroniques en kg par habitant 

Or, le renouvellement constant des appareils électroménagers n’est pas sans conséquences pour l’environnement. Leur fabrication exerce une pression sur les métaux rares tels que le lithium, le cobalt, l’iridium ou le cuivre, dont l’extraction et le traitement affectent la santé des extracteurs et des habitants des zones d’extraction, en plus d’être très coûteux en énergie et en eau. A titre de comparaison, la production d’un seul smartphone nécessite de mobiliser 70 kg de matières premières, soit 583 fois le poids d’un téléphone.  

« Dans les années 1990, les GSM de la taille d’une brique comportaient 29 métaux. Le smartphone d’aujourd’hui, beaucoup plus petit, contient paradoxalement jusqu’à 55 métaux. On croit vivre dans un monde immatériel, mais il est en fait considérablement matérialiste. » rappelle de son côté Guillaume Pitron, auteur du livre La guerre des métaux rares.  

A cela, Emilie Janots, enseignante-chercheuse à l’Université Grenoble Alpes, ajoute que « les terres rares ont un rayon ionique proche de ceux d’éléments radioactifs comme l’uranium et le thorium. C’est pourquoi on les retrouve souvent dans les minéraux qui contiennent des terres rares créant ainsi des déchets radioactifs » susceptibles de contaminer les cours d’eau et de provoquer des pluies acides. En effet, les appareils électroniques contiennent des polluants organiques persistants (POPs) qui peuvent entraîner le rejet direct d’hydrocarbures dans les rivières ou les zones environnantes lorsqu’ils se dégradent à l’air libre. Par exemple, les tubes cathodiques, couramment présents dans les anciens téléviseurs exportés massivement en Afrique ou en Asie du Sud-Est, présentent des risques pour l’environnement s’ils sont cassés ou si l’écran est retiré. Ces tubes contiennent du plomb et du baryum, qui peuvent s’infiltrer dans les eaux souterraines et libérer des substances phosphorescentes toxiques. 

Entre 7 et 20 % des DEEE produits en Europe font l’objet d’exportations illégales, principalement vers l’Afrique et ce malgré la Convention de Bâle (1992), qui interdit l’exportation de déchets dangereux.  La décharge de Mbeubeuss réceptionne les déchets de la région de Dakar. Quotidiennement, les récupérateurs, des travailleurs informels, collectent les déchets valorisables déversés par les camions poubelles pour les revendre aux grossistes et aux entreprises.  

© Jennifer Carlos / Reporterre 

Depuis 2018 et la décision de la Chine de fermer sa porte aux déchets toxiques venant de l’étranger, un certain nombre d’entre eux finissent en Malaisie. La ville de Segamat, située dans l’État de Johor, abrite l’une des plus grandes usines de recyclage illégales du pays. Actuellement, seuls les déchets de faible valeur sont traités en Malaisie, tandis que les déchets de plus grande valeur sont renvoyés en Chine où ils sont acceptés en raison de leur moindre nocivité. 

© MANAN VATSYAYANA – AFP 

LE DROIT A LA RÉPARATION COMME ALTERNATIVE AU TOUT JETER  

Le Parlement européen et le Conseil de l’UE sont parvenus, le 1er février, à dégager un accord politique sur une proposition de directive de la Commission européenne visant à encourager la réparation des biens cassés ou défectueux.  

Le texte introduit un droit à la réparation renforcé pour les consommateurs sur une multitude d’appareils tels que le lave-linge, le lave-vaisselle, le réfrigérateur, l’aspirateur et le téléphone portable.  

Outre la réduction du volume de déchets, Bruxelles espère mettre un coup d’arrêt à l’obsolescence programmée, tout en créant des débouchés économiques supplémentaires.  

« Avec l’accord intervenu ce jour, l’Europe fait clairement le choix de réparer plutôt que de jeter. En facilitant la réparation des biens défectueux, nous donnons non seulement une nouvelle vie à nos produits, mais nous créons également des emplois de qualité, nous réduisons nos déchets, nous limitons notre dépendance à l’égard des matières premières étrangères et nous protégeons notre environnement. » réagissait Alexia BERTRAND, la secrétaire d’Etat au Budget et à la protection des consommateurs en Belgique, à l’annonce de l’accord.  

Agnès Crepet, Responsable de la durabilité logicielle chez Fairphone, regrette toutefois l’absence de mention des réparateurs indépendants, « dont les intérêts me paraissent moins bien défendus. » […] Ceux-ci n’ont accès aux pièces détachées de certaines marques qu’à des tarifs dissuasifs. « On verra les prix, mais je ne suis pas optimiste. »  

En 2014, une étude menée par la Commission européenne révélait que 77% des Européens sondés préféraient réparer plutôt que jeter, mais qu’ils étaient empêchés par les coûts élevés, les services de réparation limités et le manque de pièces détachées.  

En France, bien que les consommateurs aient une image positive de la réparation, qu’ils associent principalement à un acte écologique, cette pratique reste minoritaire. En effet, selon une étude de 2019 intitulée Les Français et la réparation : Perceptions et pratiques réalisée par Harris Interactive pour le compte de l’ADEME, 54% des Français interrogés choisissent de remplacer un produit tombé en panne plutôt que de le réparer. Le coût de la réparation est d’ailleurs le principal frein, cité par 68% d’entre eux. 

TOUR D’HORIZON DES NOUVELLES RÈGLES 

Les nouvelles règles doivent faciliter l’accès aux services de réparation, en les rendant plus rapides, plus transparents et plus attractifs 

Pendant la période de garantie légale de deux ans, les consommateurs auront le choix entre la réparation et le remplacement. Une réparation gratuite devra être proposée, sauf si elle s’avère plus coûteuse que le remplacement ou si la réparation est impossible. Le fabricant devra également continuer à offrir des réparations abordables, même si le produit n’est plus couvert par la garantie. 
 
De plus, toute réparation donnera droit à une prolongation de la garantie d’un an. Pendant toute la durée de réparation, il sera possible d’emprunter un appareil de remplacement. 

Un accès en ligne gratuit à une évaluation des prix de réparation devra être disponible. À la demande du consommateur, les réparateurs devront présenter un devis harmonisé appelé formulaire européen d’information sur la réparation, comprenant plusieurs informations tarifaires telles que le type de réparation proposé et son prix, ou, si le coût précis ne peut être calculé, la méthode de calcul applicable et le prix maximum de la réparation. 
 
Une plateforme unique, conçue et exploitée au niveau européen, sera mise en ligne pour faciliter la mise en relation des consommateurs et des réparateurs. Des sections seront réservées pour chaque État membre, avec des informations provenant également des plateformes nationales de réparation, et un accès à des initiatives de réparation communautaires. 

Les fabricants seront tenus de respecter différentes contraintes. Tout d’abord, ils devront proposer des pièces détachées à un prix raisonnable afin de ne pas dissuader la réparation. L’accord prévoit également d’interdire aux fabricants de mettre en place des obstacles à la réparation, tels que l’utilisation de logiciels ou de matériels propriétaires qui empêchent les réparateurs indépendants de réparer les produits. 
 
Enfin, chaque État membre sera obligé de mettre en place au moins une mesure visant à promouvoir la réparation. Il pourra s’agir de bonus et de fonds de réparation, de campagnes d’information, de cours de réparation, d’accompagnement pour le développement de lieux de réparation ou encore de taux de TVA réduit sur les services de réparation. 

INCITER À LA RÉPARATION : L’EXEMPLE DU BONUS RÉPARATION FRANÇAIS 

En France, cette directive vient s’ajouter au Bonus réparation proposé par le Gouvernement pour allonger la durée de vie des équipements. 

Lancé fin 2022, ce dernier permet de couvrir une partie des frais de réparation sur une large famille de 73 produits. Les bonus varient de 15 à 60 € et représentent en moyenne 17 % du coût total de la réparation. Grâce à ces bonus, les consommateurs peuvent bénéficier d’une réduction sur leur facture de réparation, à condition de se rendre chez l’un des 4 700 réparateurs agréés QualiRépar

En 2023, ce sont ainsi 165 000 réparations qui ont bénéficié de ce bonus, pour un montant total de 4 millions d’euros pris en charge par les éco-organismes grâce au fonds de réparation alimenté par les contributions des fabricants dans le cadre de la responsabilité élargie du producteur (REP). 

« Cela représente onze fois moins que le budget prévu par le cahier des charges des éco-organismes agréés pour la filière EEE », dénonce Bénédicte Kjær-Kahlat, Responsable juridique à l’association Zero Waste France. 

Un an après son lancement, le bilan reste mitigé : le bonus n’a été mobilisé que pour 0,2 % des pannes et 1,7 % des réparations hors garantie en 2023. C’est ce que révèle l’étude menée par l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP), qui met en évidence d’autres manquements tels que le manque de réparateurs (74 % des réparateurs non labellisés considèrent le coût de labellisation trop élevé, et 52 % d’entre eux trouvent le délai de remboursement trop long), la complexité des procédures, une communication trop discrète, et des montants de prise en charge insuffisants. 

De son côté, dans une étude publiée en début d’année, l’Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV) a constaté une augmentation de 10 à 15 % du coût moyen des réparations liées aux bonus, ainsi que des disparités géographiques dans l’accès à la réparation. En effet, certains territoires sont moins bien desservis que d’autres en termes de nombre de réparateurs agréés par rapport à la densité de population. Ces inégalités ont un impact significatif sur le recours à la réparation, car des délais de réparation trop longs peuvent décourager les consommateurs qui optent souvent pour la commodité et la rapidité du remplacement. 

L’évolution de la densité des points de réparation entre mars 2023 et décembre 2023 © CLCV 
 
Néanmoins, Nathalie Yserd, directrice générale d’Ecosystem, rappelle que ce fonds est toujours en phase de démarrage. ‘Le mandat qui nous a été confié est de mobiliser (et donc dépenser) un peu plus de 500 millions d’euros pour ce fonds sur une période de 6 ans”, précise-t-elle. 
 
Afin de stimuler les réparations, le gouvernement a pris une série de mesures le 1er janvier 2024 : une augmentation de 5 € du montant des bonus pour 21 appareils, le doublement du bonus pour 5 appareils (de 15 à 40 euros pour les aspirateurs, de 25 à 50 euros pour les lave-linge, lave-vaisselle et sèche-linge, et de 30 à 60 euros pour les téléviseurs), ainsi que l’intégration de 24 nouveaux appareils tels que les épilateurs, sèche-cheveux ou imprimantes. 

Pour les réparateurs, des efforts seront menés pour simplifier et raccourcir les délais de remboursement avec un engagement de remboursement sous 15 jours et la mise en œuvre d’une plateforme unique de remboursement, ainsi qu’une simplification du processus de labellisation QualiRépar.  

AILLEURS EN EUROPE : DES MESURES FISCALES POUR INCITER A RÉPARER 

Plusieurs pays européens se sont attaqués à la culture du jetable, en proposant des mesures incitatives. 

Depuis 2017, la Suède applique un taux de TVA réduit à 12% (25% avant l’adoption du projet de loi) pour la réparation de bicyclettes, machines à laver, vêtements, articles en cuir et de linge de maison. 

En 2016, le Ministre des finances suédois Per Bolund justifiait ces nouvelles mesures ainsi : « Nous pensons que cela pourrait diminuer les coûts et rendre la réparation plus rationnelle et économique. Il y a un changement qui s’opère à ce niveau en Suède actuellement, une prise de conscience du besoin de faire durer les objets plus longtemps pour réduire la consommation de matériaux. » 

Des crédits d’impôts permettent également aux Suédois de déduire de leurs impôts la moitié des coûts engendrés par des réparations d’appareils électroménagers tels que fours, lave-vaisselle, machines à laver. 

En Autriche, depuis mai 2022, l’État subventionne 50% de la réparation d’un appareil électrique défectueux pour un montant maximum de 200€. Destinée à encourager les pratiques circulaires et à lutter contre les déchets électroniques, cette mesure de soutien, intitulée « Reparatur Bonus », couvre la moitié du coût des réparations des smartphones, des ordinateurs portables, des cafetières et des lave-vaisselles et de plusieurs autres appareils. Depuis son introduction, 560 000 bons d’une valeur allant jusqu’à 200 € ont ainsi pu être échangés, un chiffre bien au-delà des 400 000 bons espérés pour l’année 2026.  

Seule contrainte, le bon de réparation doit être demandé sur le site reparaturbonus.at et utilisé dans les trois semaines suivant le paiement de la facture.  

Au Royaume-Uni, depuis juillet 2021, la Right to Repair Regulations exige des fabricants qu’ils mettent à disposition des pièces détachées pour les appareils électriques dans les deux ans suivant le lancement de chaque modèle. Les pièces doivent également être disponibles entre sept et dix ans après l’arrêt de la production du modèle. 

Actuellement, la loi ne couvre que les lave-vaisselles, les lave-linges, les lave-linges séchants, les appareils de réfrigération ainsi que les téléviseurs et les écrans. La loi ne couvre ni les téléphones portables, ni les ordinateurs portables, et ne fixe aucun plafond pour le prix des réparations.  

En octobre 2023, 110 groupes britanniques ont signé une Repair and Reuse Declaration appelant le gouvernement britannique à rendre la réparation plus abordable et à étendre la réglementation à tous les produits de consommation. 

Campagne de communication menée par le collectif The Restart Project à l’occasion des Journées Nationales de la Réparation 

PROCHAINE ÉTAPE 

Dès la publication de la Directive au Journal officiel de l’UE, les États membres auront 24 mois pour se conformer et transposer le Right to Repair dans leur droit national. 

Il est important de noter qu’une directive se distingue d’un règlement. En effet, les règlements s’appliquent directement, sans nécessité de les intégrer dans les législations nationales. En revanche, les directives doivent d’abord être traduites ou transposées dans les États membres. Cela signifie que ces derniers disposent d’une certaine marge de manœuvre pour adapter la législation européenne à leurs besoins. 

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