Et voilà le travail ?

Photo : Et voilà le travail ?

Analyser les nouvelles représentations du travail dans la pop culture éclaire nos imaginaires face à l’IA. Les publicités, qui défendent le lien progrès – simplicité – modernité, ressemblent aux réclames pour appareils ménagers des sixties : cette IA-là, comme le réfrigérateur dans l’Amérique des années 50, aide les gens heureux à être encore plus heureux.

Trois films publicitaires récemment présentés par Apple racontent tout autre chose. Le cadre est celui d’une entreprise façon The Office. L’ambiance y est morose, les personnages banals mais les sièges ergonomiques. Chaque film s’ouvre sur une petite médiocrité : Lance n’a pas lu le prospectus pourtant objet de sa réunion, Dale est hors de lui car son pudding a encore disparu et Warren veut se débarrasser d’un projet pour continuer à jouer avec son rouleau de scotch. Apple Intelligence analyse brillamment le prospectus pour Lance et fait de lui le leader de la réunion. Elle fait du mail vengeur de Dale une déclaration émouvante : le pudding revient avec, en prime, les excuses de la coupable. Elle transforme le jargon technique de Warren en proposition irrésistible. Apple Intelligence fait donc des merveilles avec les chiffres, les lettres et les émotions. Mais l’histoire va plus loin.

A la fin de chaque film, Lance, Dale et Warren regardent le spectateur droit dans les yeux. Cette connivence n’est pas identificatoire comme dans les publicités classiques. On nous prend à témoin : ces personnages nous montrent la médiocrité de ce qu’ils vivent, celle de leurs collègues et de leur récent succès dopé par l’IA. « Et voilà le travail ! » semblent-ils ironiser. Car quel est leur travail ? Ces personnages désenchantés, sans métier identifiable, participent à des réunions dont l’intérêt est inversement proportionnel au nombre de participants.

Apple n’est pas n’importe qui quand il s’agit de parler travail. « Think Different », libérer l’esprit, travailler mieux plutôt que plus, la créativité et l’originalité ont longtemps constitué ses raisons d’être, nourries par l’esprit californien de ses origines. La publicité mythique de 1984 promettait la libération d’un joug bureaucratique totalitaire dont IBM et Microsoft étaient les sergents.

Quarante ans plus tard, il est toujours question de résistance. Apple semble nous dire avec cynisme que l’IA peut se charger des bullshit jobs. Et que faire faire son travail par une machine est ok quand on survit dans un open space vide de sens. Ces personnages qui s’adressent à nous semblent dire : « Puisqu’il n’y a rien ici d’un travail réel et digne, puisqu’il n’y a rien qui mérite qu’on s’y implique personnellement, que l’IA s’en charge. »

Loin des imaginaires progressistes de 1984, Apple pose peut-être en filigrane une autre façon d’aborder la répartition des tâches entre IA et humains. La question n’est plus de savoir quelles tâches peuvent rester confiées aux humains, mais plutôt lesquelles le méritent.

Auteur(s)
  • Photo :

    Jean Pralong Professeur en RH digitales et gestion des carrières

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