Avec la participation de Philippe Xavier, enseignant-chercheur à l’EM Normandie.
Depuis la levée des restrictions sanitaires, les événements pour ressouder les équipes se multiplient. Et revoilà les séminaires d’entreprise! Certes, la haute saison de la filière se concentre durant les mois de mai-juin, avec une queue d’événements en septembre-octobre, périodes où les probabilités de météo clémente favorisent leur organisation et les rendent plus conviviaux. Mais plusieurs facteurs ont contribué cette année à leur recrudescence.
Les sociétés d’événementiel spécialisées dans ce secteur bénéficient encore de l’effet de rattrapage des années 2020-2021 durant lesquelles 80 % de ces manifestations ont été reportées en raison de la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, l’essor du télétravail amplifie aussi la nécessité de renforcer la cohésion de groupe. Des demandes qui vont au-delà pour Laurence Dilouya, à la tête du cabinet Arrêt sur image, un cabinet de conseil et de coaching pour dirigeants.
« Les équipes ont besoin de se réaligner sur de nouvelles feuilles de route. Les bouleversements géopolitiques et le contexte inflationniste ont aussi des répercussions sur les collaborateurs, qui réaménagent leurs priorités. Chercher la motivation, le plaisir à contribuer de chacun, pour renforcer la performance du collectif, est un phénomène qui s’est accentué cette année dans nos séminaires ».
Les entreprises n’ont pas réuni leurs collaborateurs depuis deux ans. Toutes expriment la nécessité de tisser du lien.
Alexandre Eber, gérant de One to Team. À Nancy, Alexandre Eber, gérant de One to Team, croule ainsi sous les sollicitations, au point qu’il est obligé – un comble – de refuser des contrats. Sa spécialité ? L’organisation de rallyes urbains ou de chasses au trésor.
« Les entreprises n’ont pas réuni leurs collaborateurs depuis deux ans. Toutes expriment la nécessité de tisser du lien. Elles sont en quête d’activités ludiques, pour que les équipes décompressent. Elles ont le budget pour cela et ne cherchent pas à négocier les tarifs », relève l’entrepreneur.
Quête d’événements marquants
Ce besoin de rassembler les équipes est particulièrement prégnant pour les structures qui ont choisi de s’affranchir de locaux et basculé en full remote (100 % télétravail). Certaines, notamment des start-up, ont recruté du personnel, parfois dans des proportions importantes, et pu doubler voire tripler leurs effectifs en un an. Le problème, c’est que les collaborateurs ne se connaissent pas et, pour certains dirigeants, il y a maintenant urgence à ce qu’ils se rencontrent et se parlent autrement que par écrans interposés.
Pour que les échanges soient optimums, les entreprises sont en quête d’événements marquants et veulent faire vivre un moment inoubliable à leurs équipes, avec la conviction que l’expérience est au cœur de l’engagement.
Docteur en sociologie du travail et professeur à l’EM Normandie, Xavier Philippe y voit une forme de peur des organisations, qui redoutent le départ de leurs salariés dans un contexte de marché de l’emploi en tension. « Ce qui est surprenant, c’est que nombre d’entreprises ne s’orientent pas vers un renforcement de l’intérêt du travail, mais optent pour des expériences ludiques. Or, proposer toujours plus de fun fait oublier que le travail est aussi un environnement de contraintes », plaide l’enseignant.
Dans cette période, Alexandre Eber regrette ainsi la sous-exploitation des activités de team building. « Bien menées, elles permettent aux organisations de progresser sur des thématiques précises, comme la résistance au changement, rappelle l’entrepreneur de Nancy. À l’issue de ces sessions, nous formulons des recommandations, et lorsque les entreprises les mettent en œuvre, elles en attendent des résultats tangibles. Avec les événements ludiques, il y a moins d’exigences sur les suites attendues. Toutefois, ils créent de la complicité et peuvent améliorer les relations entre collègues ».
Mélange des genres pernicieux
Xavier Philippe leur trouve quant à lui un autre inconvénient, dans la mesure où ils aplanissent les rapports et pouvoir hiérarchiques et risquent de brouiller les cartes entre managers et subordonnés. « C’est une entreprise de séduction, avec un mélange des genres pernicieux. Il faut la prendre pour ce qu’elle est : une respiration, sans beaucoup d’impact », estime le professeur à l’EM Normandie.
Dernier point : la fidélisation! Si l’entreprise recrute avec un salaire, elle retient aussi les talents avec sa culture, et ces événements en sont un des outils fédérateurs. En abuser peut cependant provoquer l’effet inverse, à l’instar de cette start-up qui a contacté One to Team. « Elle dispose chaque mois d’un budget de 12 000 euros pour l’organisation tous les jeudis d’un afterwork et d’un d’événement de plus grande importance. Mais elle constate que cette récurrence entraîne une lassitude chez les équipes et provoque un manque d’engagement, car il y a trop de manifestations », observe Alexandre Eber.