Le décryptage d’Emmanuel Schillewaert, délégué régional d’Engie.
Nous avons plusieurs raisons de nous réjouir de recevoir aujourd’hui Emmanuel Schillewaert, délégué régional d’Engie en Normandie. La première est que cette entreprise est au cœur des besoins des territoires et de leur développement ; la seconde, c’est que la raison d’être de nos séminaires d’Intelligence territoriale consiste justement à faire communiquer ces deux sphères que sont le monde de l’entreprise et celui des collectivités.
Enfin et surtout, Engie est au carrefour de la plupart des problématiques énergétiques d’aujourd’hui, de la décarbonation à la croissance verte, avec tout ce que cela implique de solutions innovantes… et de communication pour les faire accepter.
D’où vient Engie et où va-t-elle ? Que pèse l’entreprise dans le monde, en France et en Normandie ? Quels sont ses métiers mais aussi ses valeurs, et que veut dire son délégué régional quand il se fixe comme objectif de passer du statut de prestataire à celui de partenaire territorial ? Et pour faire écho à une polémique récurrente sur le rôle des nouveaux compteurs (Gazpar pour Engie, Linky pour EDF), en quoi le recueil de data est-il désormais un élément central de la performance énergétique ? Bref, écouter Emmanuel Schillewaert et débattre avec lui, c’est comprendre comment, en une vingtaine d’années, ces questions sont passées du ressort quasi exclusif du régalien à une implication accrue des acteurs locaux puisque la plupart des nouvelles énergies – de l’éolien à la méthanisation en passant par l’hydrogène – sont produites dans et pour les territoires.
BRIEF DE L’EXPERT
Par Emmanuel SCHILLEWAERT
Trois mots pour présenter mon parcours qui n’a rien de linéaire : je suis géographe de formation, titulaire d’un DEA sur les espaces montagnards, après quoi je me suis intéressé à l’administration des collectivités locales avec un DESS à l’avenant, et j’ai trouvé mon premier job dans l’industrie aéronautique. J’ai ensuite travaillé pour les collectivités locales sur les problématiques d’aménagement, et après une courte expérience d’attaché parlementaire, j’ai compris que j’étais fait pour l’industrie sans m’éloigner pour autant des collectivités. Je suis donc entré à EDF-GDF et quand l’électricité et le gaz se sont séparés, j’ai opté pour le Gaz, donc pour Engie. Pour autant, je n’ai pas renoncé à être géographe et, devant les ingénieurs de cette belle entreprise, je continue à parler espace, temps et territoires.
En quoi consiste mon travail ? Essentiellement à coordonner les différentes entités d’Engie et à représenter la direction générale en région tout en restant à l’écoute de tout ce qui s’y passe afin d’anticiper l’évolution des marchés, chaque filiale ayant des objectifs bien naturels de rentabilité et de croissance. Nous sommes autant de délégués régionaux qu’il y a de régions françaises, et notre fonction est vraiment d’être des capteurs permettant d’aller de l’avant. Je dois dire que ma formation de géographe rompu à ausculter les territoires, leurs forces et leurs faiblesses, m’aide particulièrement à dégager des lignes de force pour l’innovation. Après avoir parlé de moi, parlons donc d’Engie. Si je vous demande, ici et maintenant, ce qu’évoque Engie pour vous, je suis à peu près certain que vous me répondrez, comme 95% des gens que je rencontre : vous êtes la filiale gazière d’EDF. Et bien, ce n’est pas tout à fait juste puisque nous sommes deux entreprises distinctes depuis 1946 et concurrentes depuis plus de 20 ans ! Cela veut dire qu’il y a encore du travail à faire sur le plan communicationnel pour expliquer qui nous sommes, notre métier et nos valeurs…
Le poids de l’histoire
Commençons donc par un peu d’histoire. Au sortir de la guerre, les urgences de la reconstruction conduisent le général de Gaulle à créer deux entreprises nationales monopolistiques de production et de fourniture d’énergie : EDF pour l’électricité ; GDF pour le gaz. La centralisation absolue est de rigueur : tout est à refaire, il faut un architecte. Pendant 50 ans, il ne se passe plus rien. Jusqu’à la fin des années 1990 où l’Union européenne décide de l’ouverture généralisée des marchés de l’énergie. Cette ouverture s’est effectuée progressivement mais aujourd’hui, on peut considérer qu’elle est achevée. L’étape principale a été, en 2007, la séparation d’EDF et de GDF avec une filiale commune EDF-GDF dont la principale activité était d’ouvrir indifféremment les lignes et les compteurs de gaz et d’électricité. En 2008, on s’est aperçu que GDF était beaucoup trop petit par rapport à EDF.
D’où le risque d’absorption par un candidat étranger. On a donc procédé à sa fusion avec Suez, GDF devenant GDF-Suez. Résultat : l’État est aujourd’hui actionnaire à 85% d’EDF et à 23% de GDF-Suez qui, en 2015 est devenu Engie. Pourquoi cette mutation ? Parce que Bruxelles est intervenu pour reprocher à GDF-Suez de n’être pas foncièrement différent de GRDF, sa filiale de distribution de Gaz, et à EDF, de ressembler un peu trop à ERDF, sa filiale dédiée à la distribution d’électricité. EDF étant une marque mondialement connue, n’a pas changé de nom et s’est contenté de rebaptiser ERDF Enedis ; quant à GDF-Suez, elle est devenue Engie, qui se dit de la même façon dans toutes les langues, donc dans les pays où l’entreprise est active.
Pour résumer, nous voici donc en présence de deux entités bien distinctes, avec chacune son réseau de distribution indépendant : Enedis pour EDF ; GRDF pour Engie. Et face à ce couple désormais séparé, voilà que déboulent des kyrielles de concurrents : Total Direct Energie ; Eni ; Energies, la filiale de Leclerc ; Greenyellow, celle de Casino ; Butagaz, propriété de l’Irlandais DCC après avoir appartenu longtemps à Shell ; ou encore Cdiscount énergie. Dans un tel paysage complètement bouleversé, Engie détient à lui seul environ 20% du marché du gaz naturel. A la concurrence des fournisseurs s’ajoute la pression organisée par les territoires pour faire baisser les prix. Par exemple en faisant des achats groupés via des groupements d’achat ou les syndicats d’énergie…
Les valeurs d’Engie
Dans ce contexte d’ouverture généralisée des actionnariats, des marchés et donc d’explosion de la concurrence, quelles sont les valeurs d’Engie ? Je dirais pour résumer que notre raison d’être s’identifie avec notre raison d’agir : accélérer la transition vers une économie neutre en carbone. Nous ne voulons pas seulement vendre de l’énergie, nous voulons vendre de l’énergie décarbonée, c’est-à-dire la plus renouvelable possible. Bref, inverser le modèle qui existait jusqu’alors. En six ans, nous avons décarboné environ 50% de l’énergie que nous produisons. Le défi est particulièrement rude quand nous sommes implantés dans des pays dont une grande part de l’énergie est encore produite par des centrales à charbon : notre rôle est, dans cette configuration, hautement écologique, et nous nous en félicitons.
Sachant qu’Engie est le seul énergéticien français – le seul – à proposer l’ensemble des sources d’énergie présentes dans le monde, nos activités principales sont au nombre de quatre. D’abord les renouvelables (hydraulique, solaire, éolien, biogaz, hydrogène vert) ; ensuite les infrastructures ; puis le développement de solutions clients intégrées, intelligentes, et décarbonées ; enfin le thermique, qui consiste pour nous à produire de l’électricité à partir du gaz naturel. C’est vous dire que nous sommes à la pointe de l’évolution actuelle, qui a fait passer la France d’une structure énergétique centralisée à une structure décentralisée et digitalisée, fondée sur les besoins différenciés des territoires, au plus près des intérêts locaux.
Data et territoires
Faut-il ici préciser que le compteur Linky et son équivalent le compteur Gazpar, sont au cœur de cette évolution ? Et pourquoi ? Parce que la matière stratégique, dans les deux cas, réside en la data et son traitement. Et là, nous sommes au cœur d’une logique de proximité, qui va de pair avec une logique de territoire. Que se passait-il avant ? On avait un relevé physique par an. Un seul. Aujourd’hui, Gazpar produit un relevé par jour et Linky transmet ses données en temps réel. Pas besoin de longs discours pour expliquer l’intérêt de cette collecte ultrafine de data pour le pilotage des politiques publiques, au niveau national, mais surtout, au niveau local. C’est tout simplement le moyen de mesurer conjointement production et consommation et d’ajuster la première aux besoins de la seconde. Avec une utilité supplémentaire pour Gazpar, liée à la sécurité : détecter les fuites. Quand l’ensemble du territoire sera couvert, l’instrument nous fournira un diagnostic qui aurait été inimaginable de précision, donc d’efficacité, voici encore quelques années !
Engie, entreprise mondiale
Où exerçons-nous notre métier, et que pesons-nous ? En 2020, nous avons réalisé un chiffre d’affaires d’environ 56 milliards d’euros : 44 milliards en Europe ; 5 milliards en Amérique latine et 5 en Amérique du Nord ; 2 milliards en Asie, Moyen-Orient, Afrique, Océanie. Ces chiffres baisseront sensiblement dans les années qui viennent car le périmètre global de l’entreprise diminue. Pour l’instant, elle compte près de 173 000 salariés dans le monde. Par ailleurs, les infrastructures gazières sont de quatre grands types : CRTGaz dédié au transport du gaz naturel ; GRDF qui le distribue ; Elengy qui gère les terminaux de Gaz naturel liquéfié, et Storengy qui le stocke. La France est la seule à disposer de structures de stockage, ce qui nous permet de moduler notre politique tarifaire en achetant quand les cours sont bas et en revendant quand ils sont hauts. Quant à nos principales Business Units (BU), je citerai d’abord Engie solutions, qui conçoit, réalise et exploite des installations de chaud et de froid destinées aux acteurs publics : villes et collectivités en particulier, mais aussi les entreprises ; ensuite Engie B to C, qui est notre plate-forme de commerce en ligne qui s’adresse aux particuliers comme aux entreprises ; puis tout ce qui concerne les énergies renouvelables, au travers de différentes filières, à savoir l’éolien terrestre, l’éolien en mer, posé et flottant, l’hydro-électricité et le biogaz.
Engie en Normandie
S’agissant de la Normandie, Engie emploie 3 058 collaborateurs, génère un chiffres d’affaires d’1,1 milliard d’euros et se déploie sur 42 sites. Ce qui signifie que nous sommes réellement une entreprise de proximité et d’équilibre. Car le mix énergétique que nous nous attachons à développer est conçu dans le souci de moduler et donc équilibrer les consommations. On revient ici très concrètement à la question centrale de la data qui se révèle être un outil de diagnostic incontournable. D’où, aussi, et ce sera mon dernier point, une vision plus claire des nouvelles attentes, donc des nouvelles solutions et des nouveaux usages.
La clé du développement vertueux des territoires se situe là, dans le choix des énergies renouvelables et surtout du niveau de production à atteindre en ce domaine. Les nouvelles solutions passent aussi par une réflexion sérieuse sur les modes de mobilité. Les solutions que nous préconisons sont claires : l’électricité et l’hydrogène pour les véhicules légers ; le gaz naturel et le biométhane pour les véhicules lourds. Et demain, l’hydrogène liquéfié pour les super-lourds, et pourquoi pas, pour le transport ferroviaire et maritime. Promouvoir des solutions différenciées de mobilité, ce n’est pas seulement agir pour la planète, c’est répondre à la demande croissante des consommateurs qui s’inquiètent pour leur bilan carbone. À Évreux, nous avons ainsi créé la première station multiénergies et elle démarre très bien. Mais pour rendre notre offre adéquate à cette demande, il est important d’agir au plus près du terrain. C’est la raison pour laquelle je dis et je répète qu’aucun développement durable n’est envisageable sans une concertation étroite avec les territoires.
Dans cette perspective, il est clair que nous travaillons en priorité sur un changement des paradigmes énergétiques. Comment ? En faisant évoluer les solutions pour lutter contre la production de gaz à effet de serre, tout en répondant simultanément aux nouvelles attentes des clients et des différentes parties prenantes, notamment des élus qui sont de plus en plus désireux de développer des territoires moins gourmands en énergie, voire résilients et d’optimiser les retombées locales… Pour conclure, je dirais que si le XX° siècle s’est bâti autour de la technique, le XXI° doit se construire autour de l’humain, qui est la condition pour réussir la révolution verte que nous appelons tous de nos vœux. C’est le pari d’Engie.
DISCUSSION
Avec les étudiants du M2/MS Str@tégies de Développement et Territoires
• Comment juger, avec maintenant plus de vingt ans de recul, le bilan de l’ouverture des marchés de l’énergie pour les consommateurs ?
L’ouverture des marchés nous permis de nous diversifier – en clair EDF a pu vendre du gaz et GDF, aujourd’hui Engie, vendre de l’électricité – et donc augmenter l’offre pour le consommateur. Donc les solutions disponibles. D’autant que d’autres acteurs ont intégré le marché. Le résultat est que nos entreprises ont commencé à gagner de l’argent, ce qui n’était pas possible quand nous étions monopolistiques avec nos tarifs régulés. Aujourd’hui, les tarifs régulés existent encore, mais le consommateur a enfin le choix, suivant ce qu’il juge le meilleur pour sa consommation.
• Quelle est votre concurrent le plus féroce ?
Tout dépend de la définition de la férocité… Je préfère parler de l’efficacité de la politique commerciale qui, parfois, est inversement proportionnelle à l’honnêteté du démarchage. Celle qui est pratiquée par ENI est sans doute la plus efficace. Mais aussi celle qui, à l’usage, tient le moins ses promesses. Les démarcheurs sont payés à la commission et certains, du coup, vendraient des lunettes à un aveugle. À partir de là, tout est permis… Un seul conseil à ceux qui choisissent en ligne leur fournisseur d’énergie : regardez en priorité le prix du kw/h ou du volume livré. Dans la mesure où les taxes sont les mêmes pour tout le monde, c’est la première chose qui compte. Et ensuite, si vous le pouvez, intéressez-vous à la durée de base des tarifs proposés dans le contrat…
• À partir du moment où vous dites : « notre raison d’être n’est pas seulement de vendre de l’énergie, c’est aussi d’en faire consommer moins et de la plus propre à nos clients », est-ce que cela ne remet pas complètement en cause la structure de votre valeur ajoutée ?
Notre valeur ajoutée se répartit différemment selon nos clients, mais d’une manière générale, nous essayons de la placer davantage sur l’amont – l’infrastructure – que sur l’aval – la consommation finale – de la chaine de distribution… Permettez-moi ici une métaphore. Toute entreprise est inscrite au registre du commerce et des sociétés. L’idéal serait de créer un registre du commerce et du sociétal. L’enjeu climatique et environnemental est devenu tellement prégnant qu’on ne peut plus séparer le commerce de ses conséquences. Ce n’est plus acceptable, ni en France ni ailleurs. C’est pourquoi nous essayons de positionner notre valeur ajoutée au plus près de ces impératifs.
Prenons un exemple : nous travaillons avec Ariane sur la question de la liquéfaction de l’hydrogène. Arianespace maîtrise au plus haut degré la question de l’hydrogène liquide. À ceci près que, pour eux, la question du prix n’existe pas, notamment parce que le carburant constitue une partie infime du coût du lancement. Notre job à nous, est d’arriver à diviser le coût de l’hydrogène liquide par deux ou par trois et de le rendre renouvelable à partir du gaz naturel, pour qu’il puisse être utilisé dans des applications plus ordinaires que la propulsion des fusées… Aujourd’hui, nous sommes encore dans le domaine de la recherche-développement, mais demain, les applications suivront. Et notre valeur ajoutée résidera alors dans cette innovation qui nous permettra de distribuer non seulement de l’énergie mais aussi et surtout… des économies d’énergie !
• Vous voulez-dire que la meilleure énergie, c’est celle que vous n’utilisez pas ?
Très exactement. Quand vous construisez une maison et que vous hésitez sur le meilleur moyen de la chauffer, demandez-vous auparavant quelle isolation sera la plus appropriée. Et dites-nous surtout où vous la construisez. Au bord de la mer ? En montagne ? En zone urbaine ? Car selon le type d’habitat et la région, la solution énergétique variera du tout au tout quant aux moyens employés pour réduire votre facture. Les économies résulteront essentiellement de ce sur-mesure…
• Quelle conséquences le désengagement de l’Etat peut-il avoir sur la stratégie du groupe ?
Je l’ai précisé au cours de l’exposé : tout dépendra de l’ampleur de ce désengagement. Mais depuis le départ de notre directrice générale Isabelle Kocher, en février 2020, on sait d’ores et déjà que le groupe va se recentrer sur son métier d’origine (le gaz), le renouvelable, et les infrastructures de chaud et de froid. La conséquence immédiate est la filialisation d’une partie de nos activités de service avec pour but, sans doute, de faire remonter le cours de l’action avant que l’État ne vende tout ou partie de celles qu’il détient…
• Est-ce que la volonté de l’État de vendre une partie du groupe à la découpe peut rejaillir sur la logique d’offre territoriale qui, jusqu’alors, était celle d’Engie ?
Oui, nécessairement. Mais vous comprendrez qu’il m’est impossible d’en dire plus eu égard aux incertitudes actuelles dont on ignore combien de temps elles vont durer…
• Et sur le prix du gaz pour les particuliers ?
Non. Les tarifs régulés garantissent sa stabilité jusqu’au 1er juillet 2023. Mais à cette date, ils disparaitront par décision européenne, au motif qu’ils sont contraires au principe de concurrence et d’ouverture des marchés inscrit dans les traités.
• On assiste à une fronde croissante contre l’éolien, pour des raisons essentiellement esthétiques. Quelle stratégie déployez-vous face à cette question ?
Vous posez une question-clé qui ne vaut pas seulement pour l’énergie, mais aussi pour l’ensemble des politiques publiques appliquées aux territoires, à savoir celle de l’acceptabilité. Il y a évidemment un vrai débat : celui du caractère intermittent du renouvelable, comparé par exemple à la continuité du nucléaire. Et la vraie réponse, en l’occurrence, est celle de la diversification et du mix à la fois énergétique et territorial.
Cependant, force est de constater qu’en certains lieux, l’affaire a pris un tour tellement passionnel qu’il est devenu difficile d’en discuter rationnellement. La pédagogie est parfois utile, mais il arrive qu’elle ne serve à rien : il faut alors renoncer, sauf à être confronté à une cascade de recours, de manifestations, voire à l’installation de ZAD qui constituent aussitôt un abcès de fixation. Et la question ne se pose pas seulement pour les éoliennes : elle se pose pour l’ensemble des filières énergétiques novatrices quand il s’agit de les implanter sur un territoire. Par exemple, les méthaniseurs, qui sont réputés sentir mauvais alors que ce n’est plus le cas…
Ceci posé, et même si, ne nous le cachons pas, cette situation nouvelle pose des problèmes à l’ensemble des énergéticiens, c’est aussi une bonne nouvelle : car cela prouve que les citoyens s’intéressent de plus en plus près à leur avenir et aux solutions qu’on leur propose.
Voyez la différence avec l’électricité au XX° siècle : non seulement sa généralisation ne s’est jamais heurtée au moindre obstacle, mais elle a été accueillie partout avec enthousiasme. C’était la fête ! Aujourd’hui, la prise de conscience de l’impératif écologique, donc du développement durable, ne se fait pas sans heurts. Mais reconnaissons qu’elle a le mérite d’exister. Et cela va très loin. Car quand un projet voit le jour, cela veut dire de plus en plus souvent qu’il émane des territoires eux-mêmes. C’est le cas grâce aux financements participatifs. Il y a encore cinq ans, ils étaient rarissimes. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux, afin de sécuriser l’investissement.
Pour revenir aux éoliennes, ce qui a braqué beaucoup de citoyens, en dehors de l’aspect visuel, c’est le fait qu’ils ne tiraient aucune plus-value de ces installations. Désormais, il n’est pas rare que les collectivités interviennent directement dans le financement participatif afin d’éviter qu’un jour la société-mère soit revendue à un fonds de pension américain ou égyptien…
Voilà pourquoi je disais tout à l’heure que l’énergie était une affaire d’espace, de temps et de territoires. C’est une évidence de le dire, mais cette prise de conscience est récente. Désormais, un projet n’a de chance de réussir que si des acteurs locaux sont associés dès le départ. C’est si vrai qu’en Normandie, il m’est arrivé de renoncer à un projet mal engagé plutôt que de mettre en péril nos investissements. Sans parler de notre image, qui tient aujourd’hui aux réseaux sociaux. D’où ce que je défends aujourd’hui pour la Normandie, mais qui vaut partout : Engie doit passer du statut de prestataire territorial à celui de partenaire territorial.
ANALYSE
Par Ludovic JEANNE
L’ÉNERGIE, AFFAIRE D’ESPACE, DE TEMPS, DE TERRITOIRES ET… D’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE
« L’énergie est une affaire d’espace, de temps et de territoires. C’est une évidence de le dire, mais cette prise de conscience est récente. » Cette réflexion d’Emmanuel Schillewaert en clôture de son intervention à l’EM Normandie nous ramène aux fondamentaux de l’intelligence économique (« IE »). On ne le répétera jamais assez : contrairement à un simplisme largement répandu, nous n’évoluons pas dans des économies totalement immatérielles, qui seraient dans les limbes, déconnectées des réalités. Les matières stratégiques ont certes partiellement muté entre hier et aujourd’hui. Mais croire et laisser croire que sous prétexte de la croissance exponentielle des nouvelles technologies – en particulier de celles liées à l’internet et au numérique – nous serions entrés dans une ère économique détachée voire indépendante de la matière et donc de l’accès aux ressources matérielles, un tel discours, outre qu’il est faux, se révèle être surtout un postulat stratégiquement dangereux, ce d’autant qu’il hante bien des esprits.
Disséquer minutieusement l’évolution du secteur de l’énergie est à cet égard un bon moyen de s’en rendre compte. En effet, jamais nos économies n’ont produit et consommé autant d’énergie par autant de moyens différents. Cependant, la base reste la même, à savoir l’exploitation de phénomènes physiques et de ressources matérielles, ces dernières parfois proches et abondantes, parfois rares et venant de terres lointaines. A cet égard, observons que jamais peut-être dans l’histoire de l’humanité, nos économies n’ont été aussi liées aux paramètres matériels et ce à l’échelle du globe. Le fait ne date certes pas d’aujourd’hui, mais il a pris un essor nouveau avec l’ère des grandes découvertes d’abord, puis surtout avec la globalisation qui s’est mise en place au niveau planétaire au tournant des années 1990, la maitrise des ressources énergétiques s’imposant comme un paramètre-clé de la puissance, donc de l’indépendance. Dès lors, nos modèles énergétiques nationaux sont-ils encore adaptés à la nouvelle donne géostratégique mondiale ? Il est permis d’en douter. D’autant qu’il convient de prendre en compte la complexité, la diversité et les besoins des territoires, lesquels, à grande vitesse, doivent s’adapter, se reconfigurer, se réorganiser tant dans leur structure institutionnelle et territoriale que dans les tissus économiques qui font vivre les sociétés locales.
Comment dès lors penser une stratégie énergétique territoriale ? Imaginons le recours massif à des énergies renouvelables et intégrées au territoire (eau, vent, soleil…). Ce serait là une véritable révolution géopolitique puisqu’elle entrainerait progressivement une indépendance vis-à-vis des fournisseurs traditionnels d’énergies fossiles, indépendance peut être relative mais nullement négligeable. On voit donc bien qu’une telle révolution des modèles énergétiques, articulée à la transition énergétique pour des raisons environnementales, serait aussi une révolution géopolitique. Imaginons un Proche-Orient sans levier sur ces enjeux énergétiques : bien des acteurs retrouveraient d’emblée une plus juste place…
Malheureusement, les décisions en matière de stratégie énergétique territoriale se font attendre, lors même que les délais de mise en œuvre sont longs, s’étendant parfois sur un demi-siècle, voire un siècle comme nous l’a enseigné l’aventure nucléaire. Nous sommes donc là au cœur des problématiques de l’ « IE », en particulier de son injonction fondamentale qui est celle de l’anticipation. A ce paramètre temps s’ajoute celui de l’acceptabilité sociale d’unités de production énergétique de proximité. Un exemple parmi tant d’autres : le programme de recherche piloté par mon collègue Sébastien Bourdin sur la question des unités de méthanisation, lesquelles ont mauvaise presse alors que de grands progrès ont été faits pour optimiser leur fonctionnement et limiter les nuisances. Là encore, les enquêtes de terrain et le traitement des données collectées prouvent qu’il est nécessaire d’associer les habitants aux projets énergétiques, en les informant très tôt et de manière continue sur l’évolution des projets. Et surtout, il convient de réfléchir à des modèles où les habitants bénéficient des retombées des initiatives engagées. Autrement dit, la problématique doit être débattue au niveau local, tout comme les retours sur investissement doivent bénéficier – au moins en partie – aux populations du cru.
Or, l’on connait trop bien en France la propension de l’Etat à imposer ses solutions par le haut. Il y a là à l’évidence une révolution culturelle à conduire. Ce qu’a bien mis en relief Emmanuel Schillewaert dans son exposé. Car la citation que j’évoquais en ouverture prenait bien en compte ce paramètre puisque prise dans son intégralité, Emmanuel Schillewaert précisait ainsi sa pensée : « L’énergie est une affaire d’espace, de temps et de territoires. C’est une évidence de le dire, mais cette prise de conscience est récente. Désormais, un projet n’a de chance de réussir que si des acteurs locaux sont associés dès le départ. » On perçoit ici tout l’intérêt qu’il y aurait à activer les leviers de l’ « IE » au cœur des territoires, en intégrant la dimension humaine aux paramètres techniques, en s’extrayant de la désastreuse logique de pilotage en silo pour lui préférer une logique de réseaux et de dialogue. De fait, pour s’ancrer dans le réel, la technologie la plus aboutie aura toujours besoin d’avoir recours à l’humain…
Biographie
Emmanuel SCHILLEWAERT
Délégué régional Normandie de Engie, Emmanuel Schillewaert est né à Tours en 1970. Titulaire d’une maîtrise de géographie (université de Tours, 1994) et d’un DEA (Université Joseph Fourier-Grenoble I, 1995), il a ensuite obtenu un DESS d’administration locale avant de travailler sur les problématiques d’aménagement au sein de plusieurs collectivités. De 2011 à 2017, il a occupé les fonctions de directeur territorial de GRDF (Gaz Réseau Distribution France) pour la Haute Normandie avant de prendre son poste actuel.
Sa délégation régionale Normandie a pour missions :
• De représenter ENGIE sur l’ensemble du territoire normand auprès des acteurs politiques nationaux et territoriaux (Parlement, régions, métropoles, collectivités locales, associations d’élus…), ainsi qu’économiques et sociaux telles que les organisations professionnelles (France Industrie, AFEP, MEDEF, CCI régionales…) ;
• De promouvoir les activités du Groupe et de ses entités en Normandie ;
• De défendre les positions d’ENGIE en France et soutenir le développement commercial de ses entités ;
• D’identifier et favoriser les synergies entre entités opérationnelles et promouvoir les projets transverses accompagnant la transition énergétique dans le territoire normand.
La palette de ses actions est très large :
• Lobbying territorial ;
• Appui amont aux activités des entités d’ENGIE ;
• Evénements de relations publiques (groupes de travail, colloques et conférences…), interventions et prises de parole ;
• Coordination des activités commerciales à travers des Fortissimo régionaux, clubs enjeux villes et territoires, clubs industrie, groupes de travail thématiques transverses afin de favoriser les synergies commerciales sur le périmètre normand ;
• Mise à disposition de projets transverses tels que Terr’innove, Territoires Hydrogène…
• Intégration à l’écosystème innovation au travers d’événements de l’Innovation Week by ENGIE, lancement d’appels à projets innovants ;
• Relations presse et notoriété locale ;
• Appui des partenariats et des actions de communication (culturels, RSE, institutionnels, sportifs, environnementaux) en adéquation avec les orientations du Groupe ;
• Implication dans les actions Insertion & Emploi PAQTE, FACE, etc.
ABSTRACT
ENERGY TRANSITION AND REGIONAL STRATEGIES: AN ANALYSIS FROM EMMANUEL SCHILLEWAERT, ENGIE’S REGIONAL DELEGATE FOR NORMANDY
We have several reasons to be delighted to welcome Emmanuel Schillewaert, regional delegate of Engie Normandie. The first is that this company is at the heart of the needs of the territories and their development; the second is that the raison d’être of our Territorial Intelligence seminars is precisely to bring together these two spheres, the business world and that of the communities.
Last but not least, Engie is at the crossroads of most of today’s energy issues, from decarbonization to green growth, with all that this implies in terms of innovative solutions… and communication to make them accepted.
Where does Engie come from and where is it going? What does the company mean in the world, in France and in Normandy? What are its businesses and values, and what does its CEO mean when he sets the goal of moving from the status of service provider to that of territorial partner? And to echo a recurring polemic on the role of new meters (Gazpar for Engie, Linky for EDF), how is data collection now a central element of energy performance?
In short, listening to Emmanuel Schillewaert and debating with him is to understand how, over the last twenty years, these issues have gone from being almost exclusively the responsibility of the government to an increased involvement of local actors, since most new energies – from wind power to methanization to hydrogen – are produced in and for the territories.