Le vin sans alcool est-il vraiment du vin ?

Photo : Le vin sans alcool est-il vraiment du vin ?

Selon une étude récente menée dans 11 grands pays de l’OCDE, 36 % des sondés déclarent avoir augmenté leur consommation d’alcool pendant les confinements. Plus particulièrement, ce sont « les femmes, les parents de jeunes enfants et les personnes à revenu élevé » qui ont vu leur consommation d’alcool le plus augmenter.

Pour contrecarrer ces dérives, l’organisation internationale prône certaines solutions, comme « limiter la promotion de l’alcool auprès des jeunes publics », « renforcer les contrôles de police pour prévenir les accidents de la route dus à l’alcool » ou encore « fixer des politiques de prix pour limiter l’accessibilité financière de l’alcool ». Une autre piste pourrait être envisagée : promouvoir le vin à faible teneur en alcool, voire du vin sans alcool (ou désalcoolisé), comme cela est déjà le cas avec la bière et certains spiritueux sans alcool (le whisky et le gin par exemple), qui connaissent un succès grandissant, surtout auprès des millennials.

Les vins désalcoolisés s’obtiennent pas une élimination progressive, voire totale, de l’alcool qui s’effectue grâce à des techniques diverses, comme l’évaporation, l’osmose inverse ou l’arrêt de la fermentation alcoolique, le souci étant d’éliminer l’alcool du vin sans trop en altérer son goût. De grands progrès ont été réalisés dans ce sens, mais beaucoup reste encore à faire car, il faut l’admettre, un vin désalcoolisé n’a pas le même goût d’un vin traditionnel.

C’est là toute la difficulté et l’enjeu de ces nouveaux vins. Peut-on encore appeler vin un produit partiellement ou totalement désalcoolisé ? L’enjeu est de taille. En effet, comme nous l’avions montré en 2019 dans un article de recherche, la modification de la teneur en alcool impacte la catégorisation, car peu de répondants identifient aujourd’hui le vin allégé en alcool comme un vin.

Dans une nouvelle étude (à paraître), nous identifions les limites de l’acceptabilité de ce nouveau produit. Certains consommateurs potentiels considèrent que l’alcool reste un attribut central et que cette innovation n’appartient pas à la catégorie de « vin », conduisant ainsi à la création d’une « nouvelle catégorie de produit ».

De manière générale, le vin désalcoolisé souffre autant d’un déficit de légitimité de marché (le marché reste marginal), et de légitimité émotionnelle (les consommateurs manifestent moins d’intérêt). La définition de la catégorie d’appartenance d’un nouveau produit est donc primordiale pour renforcer la légitimité des nouveaux « vins » désalcoolisés.

La réglementation française pèse également sur cette légitimité. En effet, les textes considèrent que le vin est « exclusivement la boisson résultant de la fermentation alcoolique complète ou partielle du raisin frais foulé ou non ou du moût de raisin », avec un titre alcoométrique devant être supérieur à 8,5 % en volume. Ainsi, la réglementation a précisément fixé le degré d’alcool comme un élément constituant de ce produit.

Plusieurs éléments pourraient toutefois venir modifier cette perception. Tout d’abord, bien qu’encore marginale, la consommation de boissons issues de la désalcoolisation représente une tendance émergente dans les pratiques de consommation. En 2018, le segment des vins sans alcool a représenté un chiffre d’affaires de 23,3 millions d’euros en France, ce qui représente une croissance de 12,7 % en valeur et de 10 % en volume par rapport à 2017.

De plus en plus de producteurs, grands et petits, ont commencé à produire des produits désalcoolisés. Ils réclament aujourd’hui le droit d’utiliser le terme « vin » pour ces nouvelles boissons. Le débat fait en ce moment rage à Bruxelles, où la Commission européenne est en train de discuter la réforme de la politique agricole commune (PAC) et l’harmonisation des règles communautaires, dont la réforme de l’article 180 relative aux vins sans alcool ou à faible teneur en alcool.

Le cours des négociations semble indiquer que la décision d’appliquer le terme vin aux produits désalcoolisés devrait être rendue opérationnelle dans un futur proche, bien que strictement encadrée et réglementée dans le respect de la production vinicole et des consommateurs.

L’application d’une réglementation qui rattache ces produits à l’univers du vin, probablement sous la forme d’une sous-catégorie, devrait permettre aux consommateurs de mieux identifier ces boissons et les bénéfices rattachés. Le fait de pouvoir utiliser encore le mot « vin » pour indiquer une boisson issue de la désalcoolisation faciliterait en effet cette identification et permettrait ainsi aux produits de bénéficier d’un positionnement clairement perçu.

En parallèle de ces éléments de contexte favorables, des efforts en matière d’information et de communication sont requis de la part des producteurs et distributeurs de vin pour légitimer le vin désalcoolisé. Une telle légitimité œuvrerait à rendre la teneur d’alcool des vins, un critère déterminant dans le processus d’achat et de consommation de vins des individus.

Dans la mesure où les professionnels travailleront sur cette légitimité, le vin désalcoolisé pourra connaître une consommation plus diffuse, venant ainsi réduire les barrières psychologiques liées à son adoption. Parallèlement, le défi principal reste l’amélioration du goût des vins désalcoolisés. Il est possible que, dans un futur proche, le progrès des techniques de désalcoolisation réduise la différence gustative entre un vin traditionnel et un vin désalcoolisé, comme c’est actuellement le cas avec la bière et les spiritueux sans alcool. Les producteurs de vins parviendront-ils à réduire ce gap gustatif? Le futur de ces nouveaux produits se jouera également à ce niveau.

Auteur(s)
  • Photo :

    Sylvaine Castellano Professeur en stratégie - Directrice de la recherche

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