Alors qu’il tente de se remettre de la crise sanitaire, le secteur des arts et de la culture se retrouve à un carrefour important, embrassant d’une part la voie de la digitalisation, mais tout en cherchant d’autre part, à ne pas dévaloriser son offre physique.
Des pertes considérables
La pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet le secteur des arts et de la culture. Les mesures de lutte contre la crise sanitaire ont mis quasiment à l’arrêt l’ensemble du secteur en France. Dans un rapport du Sénat publié en mai 2021, les pertes accusées par le domaine du spectacle vivant depuis le début de la pandémie s’élèvent à 2,3 milliards d’euros avec une activité qui a chuté de 84 %, à un milliard d’euros pour le cinéma et une fréquentation en baisse de 70 %, et à 217 millions d’euros pour les musées avec environ 72 % de visiteurs en moins. Si le secteur a été soutenu par l’Etat avec un plan d’aide gouvernemental à hauteur de 11 milliards d’euros, le caractère exceptionnel de cette situation a forcé les acteurs à se réinventer. Si pour certaines structures, cette remise en cause avait pour but de rechercher de nouvelles sources de financement, pour la plupart il s’agissait surtout de continuer à faire exister la culture.
La digitalisation pour continuer à exister
La pandémie et les multiples restrictions qu’elle a engendrées ont donc amené les acteurs à tester de nouvelles formes de consommation de la culture marquées notamment par l’utilisation des ressources numériques (sites Internet et réseaux sociaux notamment). Certaines institutions se sont donc engouffrées dans la voie de la digitalisation des contenus. C’est le cas par exemple du musée du Prado à Madrid qui a été l’un des premiers lieux culturels à réagir à la fermeture des musées. En plus des visites virtuelles des œuvres, le musée a rapidement organisé des diffusions en direct sur ses réseaux sociaux pour présenter sa collection dans une forme plus interactive, a mis à disposition des ressources éducatives et autres MoocS pour les élèves et a développé un nouvel outil associant sa collection et l’intelligence artificielle.
D’autres structures sont allées plus loin en ne se contentant pas de digitaliser leur offre déjà existante, mais en créant du nouveau contenu digital. Ainsi, le festival de musiques actuelles Hellfest, qui attire chaque année 180 000 spectateurs, a dû annuler son événement deux années de suite en raison des restrictions sanitaires. En contrepartie, les organisateurs ont créé ce qu’ils ont appelé un « Hellfest from Home », c’est-à-dire un festival que les individus peuvent regarder depuis chez eux. Le festival a donc invité un certain nombre d’artistes à filmer une prestation live inédite que le festival met ensuite à disposition des festivaliers qui peuvent, comme dans un vrai évènement, créer leur propre programmation en fonction de leurs goûts.
Les avantages du digital : interactivité, proximité, démocratisation
Si la digitalisation du secteur culturel s’est accélérée sous la contrainte, elle n’en présente pas moins un certain nombre d’avantages. Tout d’abord, le digital offre au public de nouvelles possibilités de créer du lien. Par exemple, à défaut de pouvoir présenter ses collections physiquement aux visiteurs pendant sa fermeture, le Musée Getty de Los Angeles a organisé un jeu qui a eu beaucoup de succès. Il était demandé aux individus de reproduire certaines œuvres du musée avec des objets disponibles chez eux, puis de poster les photos du résultat obtenu sur les réseaux sociaux, faisant ainsi vivre la communauté du musée.
Outre une plus grande interactivité entre les individus eux-mêmes, le digital offre également une proximité intéressante avec les artistes. Nombreux sont par exemple les musiciens qui ont donné gratuitement ou moyennant une rémunération plutôt modeste des concerts pendant les périodes de confinement, permettant ainsi un dialogue direct entre l’artiste et son public.
Enfin, le digital permet également de démocratiser l’art et la culture, les rendant accessibles à tous. Selon une étude réalisée par l’Hadopi, 85 % des Français ont consommé au moins un bien culturel pendant le premier confinement, ce qui constitue une augmentation significative. Ainsi, si certains individus n’ont donc pas la capacité d’aller vers la culture, la culture peut, par l’intermédiaire du digital, aller vers eux.
Des initiatives amenées à perdurer ?
A l’heure de la réouverture des lieux culturels, la question qui se pose est la suivante: est-ce que le mouvement de digitalisation de la culture a vocation à perdurer dans le temps ? Compte tenu des évolutions sociétales faisant du numérique une norme dans beaucoup de secteurs, il est légitime de penser que si la crise sanitaire a accéléré la transformation numérique du secteur, celle-ci était à la fois nécessaire et inéluctable.
Toutefois, il est indispensable pour les institutions culturelles de réfléchir à la cohabitation entre l’offre digitalisée et l’offre physique. Il s’agit non seulement de faire en sorte que les deux offres ne se cannibalisent pas, mais aussi qu’elles ne soient pas organisées en silo. Ce vers quoi doivent tendre les organisations du domaine culturel, c’est, dans une logique omnicanale, d’être en capacité de proposer une expérience totale et sans couture dans laquelle le public peut naviguer librement et selon ses envies entre le online et le offline.