Dirigeants, comment mettre en place la semaine de quatre jours ?

Photo : Dirigeants, comment mettre en place la semaine de quatre jours ?

La semaine de quatre jours suscite un certain engouement, de la Belgique à l’Espagne. Les entreprises qui sautent le pas restent toutefois minoritaires. Comment procéder ? Mode d’emploi.

La semaine de quatre jours offre des avantages aux salariés comme aux entreprises. Efficacité, engagement, attractivité accrue, meilleure organisation… Elle constitue pourtant une vieille idée, nous rappelle Yoann Bazin, chercheur en gestion de ressources humaines à l’EM Normandie. “Henry Ford avait lancé la semaine de cinq jours au lieu de six, tout le monde s’est moqué de lui, la hausse de productivité a été telle que cela compensait la réduction de temps de travail, souligne-t-il. Dix ans après, tout le monde était aligné sur lui, par pragmatisme.”

La préparation, l’étape la plus cruciale

Vous êtes tenté ? Attention, car cette transition requiert de la méthode. “Il ne faut pas décréter la semaine de quatre jours, mais ouvrir un espace de discussion, avertit Damien Richards, chercheur en gestion des ressources humaines à l’Inseec. Avec les représentants du personnel, le comité de direction, l’encadrement intermédiaire, les salariés et tout l’écosystème. Commencez par un baromètre : est-ce que les salariés en ont envie ou ont-ils d’autres priorités ? Cela doit aller de pair avec une politique de bien-être au travail, un bullshit jobs quatre jours par semaine n’a aucun intérêt.”

Selon Axelle Ricour-Dumas, directrice générale de Fabernovel, qui a notamment accompagné Welcome To The Jungle dans le passage aux quatre jours, “les personnes ont besoin de comprendre pourquoi on fait cela”. Pour ce faire, il est conseillé de produire un manifesto avec les objectifs poursuivis, par exemple. Stéphanie Colin, coach en entreprise recommande de réaliser “une étude de faisabilité secteur par secteur”. Objectif affiché, faire en sorte que “le dirigeant donne le cadre, les règles de bien-vivre ensemble, soit garant de l’équité de traitement mais que les salariés définissent entre eux les modalités de fonctionnement”, détaille-t-elle.

L’aspect client et production doit aussi être scruté. Jours d’ouverture, délais de réponse, personnes interchangeables ou pas face aux clients, enjeux de production, continuité de l’activité commerciale et opérationnelle… Autant de données qu’il convient de lister en amont. Axelle-Ricour Dumas, de Fabernovel, préconise d’avoir une marge de manœuvre financière suffisante.

Vous êtes prêt à sauter le pas ? Le chercheur Damien Richard conseille de commencer “avec une méthode expérimentale, une démarche itérative avec des runs et des retours. “Un grand groupe peut, par exemple, tester sur une filiale”, illustre-t-il, avec trois mots d’ordre “expérimenter, collaborer, s’adapter”. L’entreprise peut ensuite mener des learning expeditions, des discussions avec celles qui l’ont déjà mis en place, des échanges de bonnes pratiques.

Yoann Bazin acquiesce : “il y a tellement de différences selon le poste que passer tout le monde à quatre jours d’un coup peut être violent. Il faut une vision globale, et commencer là où ça va fonctionner facilement et où les gens sont prêts, puis étendre”. Pour ce faire, Axelle Ricour-Dumas estime qu’une “phase de test, d’au moins quatre mois idéalement” est nécessaire pour “identifier les inefficiences”.

Cette phase de test va permettre de déterminer la meilleure organisation pour l’entreprise, voire pour chaque service. L’entreprise peut rester à 35 heures hebdomadaires et allonger la journée de travail à 8h45, ou passer à 32h. Attention toutefois, avec des journées allongées, il peut y avoir un risque de fatigue, certes souvent compensé par la motivation et trois jours de repos.

Compte tenu de la charge de travail conséquente, certains salariés travaillent d’eux-mêmes durant leur jour de congé. Pour Yoann Bazin, cette situation pose “la question du droit, et même du devoir de déconnexion”. Il plaide pour des “politiques assez drastiques”. Les managers doivent donner ainsi l’exemple : il convient de préciser qu’ils n’attendent pas de réponse en dehors des heures de travail.

Pour répondre à cette problématique, certaines entreprises ferment un jour par semaine, d’autres imposent un jour off à chaque personne, ou laissent le choix entre tous les jours, ou entre deux jours, souvent mercredi ou vendredi. Plusieurs entreprises, elles, ne fonctionnent à quatre jours qu’une partie de l’année, quand d’autres laissent le choix entre plusieurs organisations. Pour Stéphanie Colin, le choix devrait se faire au sein des équipes, sans figer un jour de repos.

Damien Richard appelle aussi à réfléchir à comment “segmenter : est-ce qu’on le fait pour toute l’entreprise, pour certaines catégories seulement ?”. Une décision qui n’est toutefois pas sans risque. “Des règles différentes favorisent le désengagement, prévient-il. Il faut une justice organisationnelle.” Créer des compensations pour les salariés qui n’y ont pas droit est une option.

Rester efficace sur quatre jours passe par des changements de pratiques. A commencer par réduire au strict minimum et réorganiser les réunions : ordre du jour clair, à préparer, temps limité connu de tous, et invitation uniquement des personnes concernées. Cette nouvelle organisation nécessite aussi de la polyvalence : les salariés sont formés à remplacer leurs collègues, ou alors des binômes sont créés sur un même poste. Il faut identifier les missions à plus forte valeur ajoutée, et réduire ou automatiser le reste, alléger les process.

Selon Stéphanie Colin, qui travaille quatre jours depuis longtemps, “la clé, c’est le rétroplanning, partir des échéances et déterminer le temps nécessaire pour chaque action, avec une gestion écrite, de la communication et de l’organisation. Le manager prend son envergure de chef d’orchestre, gère les délais et absences”.

Reste que le temps pour certaines tâches est incompressible. Revoir son organisation peut ainsi amener à dédier certains salariés à certaines tâches et recruter ou externaliser le reste. Un risque fréquent est que les salariés se concentrent sur les tâches à résultats rapides. Un arbitrage qui se fait bien souvent au détriment de gros projets de long terme et de phases d’inspiration : se concentrer sur les appels entrants et les rendez-vous et négliger la prospection ; ne plus avoir de phase de réflexion suffisante au risque de diminuer la qualité ; abandonner la veille concurrentielle et stratégique…

C’est la raison pour laquelle il est crucial d’accompagner les salariés, dans la gestion du temps de travail et la priorisation des tâches. Parmi les initiatives possibles, on pense notamment à l’édition d’un guide de bonnes pratiques ou des échanges réguliers ou informels. Il est également primordial d’améliorer le partage d’information pour que les salariés suivent ce qui s’est passé en leur absence.

Pour Damien Richard, il faut “impliquer les managers en amont. Leur expliquer les intentions, le sens”. Mais aussi les “écouter, car ils sont au plus près des réalités du travail” et prendre conscience qu’un “manager qui travaille quatre jours doit avoir d’autres pratiques, avoir plus confiance, savoir que ses équipes seront moins disponibles”. Selon le chercheur, “le risque est d’être un manager Excel, pris dans le reporting. Ils ne peuvent pas être tout le temps dans les plannings, ils ont besoin d’outils pour les décharger et être sur le terrain”.

Passer à quatre jours par semaine implique un maintien du salaire. Sinon, cela devient un temps partiel, avec perte de pouvoir d’achat. “Dès que les accords sont signés et qu’il y a une certaine flexibilité, c’est assez facile à mettre en place de façon juridique, explique Stéphanie Colin. Dans ce cas, il faut vérifier les contrats, qu’il n’y ait pas de contrindications avec trop de spécificités (handicap, temps partiel, certains à 39h…), ainsi que les accords collectifs sur l’organisation du temps de travail : périodes pleines / creuses, saisonnalité…”

En cas de passage à 32h, les heures à partir de la 33e deviennent officiellement des heures compensatoires, mais les représentants du personnel peuvent négocier que cela soit des heures supplémentaires dès la 33e.

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