Où sont les semi-conducteurs ?

Photo : Où sont les semi-conducteurs ?

« Une puce ne peut pas piquer une locomotive, mais elle peut rendre fou le machiniste » 

De Quino 
Extrait de la bande dessinée Mafalda 

Depuis la fin 2020, tous les médias évoquent la « pénurie de semi-conducteurs ». A quoi est due cette pénurie et surtout pourquoi est-ce que celle-ci nous concerne tous ?  

Les semi-conducteurs : or gris du XXIème siècle ? 

Ces semi-conducteurs, dont on parle tant, ou circuits intégrés microélectroniques, puis nanoélectroniques permettent, tout simplement, de traiter l’information, la sauvegarder ou la transférer.  Ils sont donc à la base de la digitalisation de l’économie.   

L’industrie mondiale des semiconducteurs, qui rassemble l’ensemble des firmes engagées dans la conception ou la fabrication des circuits intégrés, représentait en 2020 439 milliards de dollars. C’est une industrie à forte croissance. Elle représentait, par exemple, 314 milliards de dollars en 2010. Les composants électroniques ou semiconducteurs restent pourtant très mal connus du grand public.

Cette méconnaissance peut s’expliquer par leur petite taille, de l’ordre du micromètre (un grain de sable pour ainsi dire) voire du nanomètre (un brin d’ADN) mais aussi par la complexité de leur conception et de leur production. Par ailleurs, ce produit est un bien intermédiaire donc doit être incorporé dans divers produits finaux. C’est sous cette forme que nous l’utilisons quotidiennement sans en avoir conscience. 

Ils sont présents dans nos téléphones, nos ordinateurs mais aussi nos réfrigérateurs ou nos voitures. Ainsi, Gruber (1998) considère les semiconducteurs comme le pétrole du XXIème siècle. Depuis vingt ans, le marché s’est encore élargi grâce à l’exploration de nouveaux domaines d’application dans des secteurs clefs de la société contemporaine comme le médical ou l’environnement.

Cette diversité des usages et des débouchés a été stimulée par la miniaturisation des composants qui augmente la performance de ce produit intermédiaire tout en en diminuant les coûts de production et en conséquence le prix à la vente (Jorgenson, 2001).  Ainsi, vous comprenez bien qu’avec la crise de la COVID-19 et l’explosion de la demande de matériel informatique, la demande de semiconducteurs a sensiblement augmenté par ricochet.  

Un marché très complexe 

Si l’industrie microélectronique est à la fois un puissant moteur économique et le fondement d’une révolution sociétale, elle reste selon Dauvin (1995, p. 50) structurellement fragile : « le monde des composants est mouvant, rien n’y est acquis que la fragilité ». Ce constat est justifié par deux caractéristiques majeures : la première concerne le produit en lui-même ; la seconde est liée au marché et à l’évolution des ventes (Aubry, 2012).  

  • Les semiconducteurs sont des produits de haute technologie à durée de vie courte car l’innovation tient une place centrale dans cette industrie. Les produits se substituent alors rapidement les uns aux autres et les acteurs du marché voient constamment apparaitre de nouvelles familles de produits et disparaitre les anciennes. 
  • Le marché est très cyclique et instable. Dès le début des années 1990, IC Insights, société d’études de marché spécialisée dans le marché des semiconducteurs, souligne l’alternance de périodes durant lesquelles les capacités de production des entreprises augmentent, les prix et les investissements baissent avec des périodes durant lesquelles ces variables évoluent dans le sens inverse.  

Cette complexité et cette instabilité expliquent qu’il est difficile aux entreprises d’adapter rapidement leur offre. Les industries dépendant des semiconducteurs, l’informatique bien sûr mais aussi l’automobile, se retrouvent alors sans « matière première ». Et le consommateur risque de devoir faire face à une hausse des prix de leurs produits électroniques.  

Un premier enjeu géopolitique fort  

La concurrence dans le secteur est rude. Nombreuses sont les entreprises à n’avoir pas pu survivre. Certaines ont fait le choix, pour plus de flexibilité, de ne se concentrer que sur la recherche (les « fabless » comme Nvidia ou Broadcom, Qualcomm) ou que sur la production (les fonderies comme la taiwanaise TSMC). Pour des produits aussi centraux et stratégiques, la concurrence existe aussi à l’échelle des Etats. 

En effet, l’industrie électronique a toujours intéressé les Etats qui ont souvent choisi d’intervenir sur le marché par l’intermédiaire d’aides à la recherche ou d’entreprises nationales. Des investissements étatiques ont aussi favorisé le développement de l’électronique grand public au Japon dans les années 80, par exemple. 

Aujourd’hui, si la plus grande entreprise de semiconducteurs est américaine, Intel, et cela depuis le début des années 90, avec 70 000 millions de US$ de dollars de chiffre d’affaires (données 2019, IC Insight), les occidentaux n’ont conservé que peu de capacité de production sur leurs territoires et dépendent grandement de l’extérieur. 

En l’occurrence le marché est dominé par Taiwan et la Corée du Sud qui à eux deux représentent près de 43% des capacités de production mondiales (données 2019, IC Insight). La capacité de production des Etats Unis ne représente que 12,8% et, pire, la capacité de production des européens est inférieure à 6% de la capacité de production mondiale.   

Si l’Europe notamment veut limiter sa dépendance à l’extérieur et accroitre ses capacités de production, un gros travail va devoir être fait pour accroitre les investissements dans le secteur et rattraper une partie du retard cumulé. Cependant ce ne sera pas suffisant, elle devra aussi accéder aux matériaux de base permettant la production de semi-conducteurs : certaines terres rares.   

Un second enjeu géopolitique fort 

Certains semi-conducteurs intègrent en effet des Terres rares. Ces dernières, c’est maintenant bien connu, forment une famille de dix-sept éléments chimiques aux propriétés électromagnétiques et électrochimiques proches et exceptionnelles. Certaines interviennent de façon cruciale dans la production de certains semiconducteurs, et d’autres dans la production de nombreux composants nécessaires aux nouvelles technologies. 

Les Terres rares, comme la plupart des ressources stratégiques – minérales ou biologiques – ne sont pas réparties de façon homogène à la surface du globe et/ou ne sont pas également exploitables partout où il s’en trouve (conditionnalités environnementales, technologiques et économiques). Or, en ce qui concerne le Terres rares, la Chine a construit un quasi-monopole et les acteurs géoéconomiques occidentaux ont laissé faire, les Américains en particulier, mêlant naïveté et aveuglement stratégique.  

Aujourd’hui, plus de 80 % des Terres rares produites dans le Monde, le sont en Chine. En 2006 et 2010, ce ratio était monté à… 98 % ! La Chine a mis 20 ans à construire, délibérément, cet avantage stratégique (Jeanne, 2016). Aujourd’hui, elle s’en sert dans ses confrontations géopolitiques et géoéconomiques avec les Occidentaux et les Japonais. Et le secteur des semi-conducteurs n’est pas le seul à être susceptible d’en souffrir.

En 1992, Deng Xiaoping avait déclaré, publiquement : « il y a le pétrole en Arabie Saoudite, il y a les terres rares en Chine » (« 中东有石油中国有稀土 »). Près de vingt ans plus tard, son vœu de tirer un avantage stratégique de cette ressource géologique est exaucé : personne ne peut à court ou moyen terme desserrer significativement cette mainmise sur des substances dont, dans une majorité de domaines de haute-technologie, on sait ne pas pouvoir s’en passer. Cette donne ne peut que complexifier les jeux stratégiques en cours autour des semi-conducteurs. 

Référence :  

AUBRY, M. (2012), « Le marché des semiconducteurs : cyclicité et innovation : un essai de modélisation », Thèse de doctorat en Sciences économiques générales, Sous la direction de Patricia Renou-Maissant, Soutenue en 2012 à Caen

DAUVIN,  J.-P.,  COULON,  D.,  &  OLLIVER,  J.  (1995),  Les  composants  électroniques  et  leur  industrie, Paris: Presses Universitaires de France. 

GRUBER, H. (1998), “Learning by doing and spillovers: further evidence for the semiconductor industry”, Review of Industrial Organization, 13(6), 697–711. 

JEANNE, L. (2016) « La géoéconomie des terres rares », in : Guilhon Alice et Moinet Nicolas (Dir.), Intelligence économique – S’informer, se protéger, influencer, Pearson, pp. 92-108. 

JORGENSON,  D.  W.  (2001),  « Information  technology  and  the  US  economy”, The  American  Economic Review, 91(1), 1–32. 

Auteur(s)
  • Photo :

    Ludovic Jeanne Professeur assistant en géopolitique
  • Photo :

    Mathilde Aubry Titulaire de la Chaire "Management de la Transformation Numérique" - Professeur associé en économie

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