Pourquoi seuls certains jeunes rêvent encore de devenir manageurs

Photo : Pourquoi seuls certains jeunes rêvent encore de devenir manageurs

Cet article a été publié sur Le Point.

Être manageur ne fait plus envie. Entre rejet de la hiérarchie et quête de liberté, ce désamour du pouvoir cache surtout une question de classe.

Si je présente mon cours de management comme un cours de psychologie sociale, je suis sûr de capter l’attention. Si je dis aux étudiants que je les forme au métier de manageur, les regards se vident et des moues dubitatives apparaissent. Dans les forums étudiants et les conversations de couloir, le mot « manageur » suscite davantage de soupirs que d’enthousiasme. Selon un baromètre 2025, 56 % des cadres de moins de 35 ans déclarent vouloir devenir manageurs, un chiffre en recul de 7 points en un an. Le conscious unbossing (ou le refus conscient du rôle de manager) se diffuse dans les nouvelles générations. 

Les jeunes, donc, ne voudraient plus « manager », et nous assisterions à une révolution générationnelle des aspirations professionnelles : plus d’équilibre, moins de hiérarchie, plus de projets portés vers soi que vers autrui. Tous les jeunes repousseraient le statut de manageur par résistance au commandement vertical, désir d’autonomie ou rejet de l’hyper-responsabilité. Tous ? Non : ce récit est trop homogène. Comme la plupart des rengaines sur les « différences intergénérationnelles », il masque d’autres fractures. 

Les aspirations professionnelles ne naissent pas dans le vide : elles sont structurées par le milieu social d’origine. Le rejet massif du parcours managérial n’est pas uniforme : il est moins présent chez les jeunes issus de milieux populaires, pour qui devenir manageur conserve une marque de distinction et une promesse de mobilité sociale. Ceux issus de milieux plus privilégiés mobilisent une autre tactique : renoncer au pouvoir vertical, perçu comme démonétisé car trop accessible, pour cultiver d’autres formes de distinction : être un « leader inspirant », miser sur une start-up « à impact », plutôt que rechercher un grade dans la matrice bureaucratique. 

Repenser le pouvoir 

Reste qu’il faudra bien encore des manageurs. Pour préparer un vivier, il est utile d’identifier ceux pour qui le rôle reste attractif, ceux pour qui il est redéfini, ceux pour qui il est évité. Quelques entreprises françaises commencent à développer des trajectoires de leadership qui reconnaissent la diversité des motivations : chez Engie, de jeunes talents peuvent accéder à des rôles de coordination transversale sans manager directement d’équipes ; chez L’Oréal, des parcours de « leadership d’influence » permettent de développer une autorité reconnue sans fonction hiérarchique. 

Pour les jeunes issus de milieux populaires, le rôle managérial reste un levier de mobilité : il faut donc maintenir des filières claires d’accès à la responsabilité, accompagnées d’un mentorat. Pour d’autres, le pouvoir se joue ailleurs : l’entreprise peut leur offrir des postes de pilote de projet, de coach ou d’innovateur interne. En diversifiant les formes de leadership, on évite le désenchantement généralisé et on rétablit une légitimité du management fondée sur la compétence, l’appétence et le potentiel, non sur l’attractivité par le prestige. 

Le désintérêt pour le management n’est pas un changement générationnel, mais un déplacement de la recherche de distinction. Si certains y rêvent encore, d’autres préfèrent rire du trône en s’asseyant ailleurs. Reste à en faire l’opportunité de refonder ce métier essentiel. 

Auteur(s)
  • Photo :

    Jean Pralong Professeur en RH digitales et gestion des carrières

Photo : Rendez-vous le 6 novembre à Paris pour le Colloque Vivre et Travailler Autrement (VETA)

Rendez-vous le 6 novembre à Paris pour le Colloque Vivre et Travailler Autrement (VETA)

Le 6 novembre 2025, l’auditorium LVMH du 22 avenue Montaigne à Paris accueillera le colloque annuel de l’association Vivre et Travailler Autrement (VETA). L’événement rassemblera entreprises, chercheurs et acteurs engagés autour d’un objectif commun : penser autrement l’inclusion professionnelle des personnes autistes et les innovations organisationnelles qui en découlent. Parmi les moments forts de la journée, Delphine […]

Lire la suite