Uber et le travailleur indépendant « subordonné »

Photo : Uber et le travailleur indépendant « subordonné »

Le numérique bouleverse les formes de travail. Derrière l’apparente indépendance du micro-entrepreneur, une véritable relation de subordination peut exister à l’égard de la plateforme.

Affaire Take Eat Easy – novembre 2018

Dans cette dernière affaire, un coursier à vélo exerçait son activité sous le statut d’auto-entrepreneur, pour le compte de Take Eat Easy, une société qui utilise une plateforme web et une application pour mettre en relation les restaurateurs, les clients et les livreurs.

L’application numérique était dotée d’un système de géolocalisation qui permettait de surveiller le travailleur indépendant. Aussi, la plateforme ne se limitait pas à une simple mise en relation du micro-entrepreneur (livreur) et du client, elle disposait de sa clientèle propre en contrôlant le rythme du travail du livreur. L’accumulation de ces indices de subordination a caractérisé un véritable lien de subordination, critère déterminant l’existence d’un contrat de travail. L’auto-entrepreneur a donc obtenu la requalification de sa relation commerciale en contrat de travail.

Affaire Uber – janvier 2019

Dans la nouvelle affaire de 2019, s’agissant de l’entreprise Uber, les faits étaient similaires. Un chauffeur VTC, lié à la société Uber BV par un contrat de prestation de service, était inscrit au répertoire des métiers sous le statut d’indépendant. Après quelques mois de services, la société Uber a désactivé le compte du chauffeur et l’a privé d’exercer sa mission. Le chauffeur a contesté ce mode de rupture et a sollicité la requalification du contrat de prestation de service en un contrat de travail.

L’analyse détaillée du contrat et l’examen des courses effectuées par le chauffeur ont permis de relever un véritable faisceau d’indices de subordination faisant de ce chauffeur un salarié :

  • le chauffeur VTC n’était pas libre de choisir l’organisation de son activité
  • il ne pouvait pas se constituer une clientèle propre, celle-ci relevant exclusivement de la société
  • les tarifs des courses étaient déterminés par la société par le biais d’un algorithme de la plateforme
  • la prestation était effectuée sous surveillance GPS
  • la société Uber se réservait le pouvoir de désactiver l’application en cas de mauvaise exécution de la prestation.

Un tel faisceau d’indices révèle en réalité que le chauffeur ubérisé était placé dans une situation de totale subordination relevant du contrat de travail.

« L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » – Cassation sociale 19 décembre 2000, Labbane, Bull. civ. n° 437

Ainsi, de nouvelles questions se posent sur le fonctionnement des plateformes numériques, mais également sur le sort des travailleurs ubérisés connaissant une précarité importante. Une charte de fonctionnement telle qu’elle a été mise en avant par les pouvoirs publics, ne semble pas suffisante pour clarifier la réalité de la relation unissant le micro-entrepreneur au donneur d’ordre. Faut-il revenir à la notion de dépendance économique, ce qui reviendrait à repenser toutes les formes de travail au-delà des critères d’indépendance et du lien de subordination juridique ? S’agit-il de revoir l’ensemble des activités professionnelles, indépendante ou salariale, au-delà du prisme commercial ou de celui du droit du travail ?

Retrouvez l’analyse complète de Brigitte Pereira, professeur en droit à l’EM Normandie, sur www.lesechos.fr

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