Manageurs de proximité : au cœur du système, mais seuls face à tout

Photo : Manageurs de proximité : au cœur du système, mais seuls face à tout

Au cœur des organisations, les manageurs s’épuisent. Entre directives contradictoires, manque de moyens et solitude croissante, ils deviennent les fusibles silencieux d’un système qu’ils peinent encore à tenir.

«On ne le dit pas assez : il est bien plus difficile de manager trente personnes que de diriger un groupe de plus de mille salariés », affirme Bertrand Martinot, économiste et expert associé à l’Institut Montaigne. À mesure que l’on gravit les échelons hiérarchiques, le pilotage se détache du terrain. Diriger implique de tracer un cap stratégique, satisfaire les attentes des investisseurs et donner une cohérence au récit. Les décisions se prennent à huis clos, dans le confort ouaté des comités de direction, devant des cadres convaincus d’avance. Rarement face à des équipes épuisées, en sous-effectif depuis des mois. Le terrain n’est pas ignoré, il est simplement tenu à bonne distance, pour ne pas ébranler les certitudes du sommet.

Les difficultés du terrain, qu’il s’agisse des problèmes de recrutement, du manque de moyens ou d’équipes fragilisées par un management toxique, remontent rarement jusqu’aux étages supérieurs. Et lorsqu’elles y parviennent, elles se heurtent à des urgences d’un autre ordre : résultats financiers, besoins de transformation, impératifs d’image. « Il est bien plus confortable d’occuper la place haute d’un système censé tourner de lui-même et d’envoyer quelques directives bien pensées, que de se retrouver coincé, sans marge de manœuvre, entre ceux qui décident et ceux qui exécutent », abonde Jean Pralong, professeur en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie.

Caroline a 33 ans. Depuis sept ans, elle dirige trois équipes, soit une trentaine de personnes, dans une entreprise de biotechnologies à Nantes. Elle résume sa fonction en un mot : fusible. Coincée entre une direction fuyante et des équipes parfois à cran, elle amortit les chocs, sans relais ni garde-fous. Elle n’en a encore parlé à personne, mais elle sait que l’heure du départ approche. Cette décision s’est imposée après un épisode qu’elle n’a pas digéré : une affaire de harcèlement dans son service, à laquelle sa hiérarchie n’a opposé que le silence.

Manque de reconnaissance

« Trois femmes sont venues me parler d’un problème avec un homme de l’équipe », raconte-t-elle. Elle a tout de suite alerté son N + 1. Il lui a demandé de monter un dossier, mais sans soutien, sans consignes pour protéger les victimes et désamorcer les tensions. Le temps que les choses bougent, deux des plaignantes avaient quitté l’entreprise. La troisième avait retiré sa plainte. L’homme mis en cause, lui, a été élu au comité social et économique (CSE) de l’entreprise. La direction ne l’a pas formulé explicitement, mais elle lui a fait comprendre qu’il valait mieux enterrer l’affaire que risquer un contentieux aux prud’hommes. « Évidemment, cette histoire a laissé des traces, souffle Caroline. Comment voulez-vous qu’on me fasse confiance comme manageur si les salariés savent que je n’ai pas les moyens de les protéger ? »

Il y a aussi ce manque de reconnaissance devenu, avec le temps, plus pesant que les heures supplémentaires. Lorsqu’elle se bat pour obtenir une augmentation pour l’un des siens, personne ne mesure ce que cela lui coûte. Et lorsqu’elle refuse, elle devient celle qui bloque, l’incarnation de l’opposition. « Bien sûr, certains voient ce que je fais. Mais souvent, un non suffit à faire de vous une cible. On me répond que ce n’est pas une réponse recevable. Et aussitôt, le travail est saboté. »

Tous les manageurs, heureusement, ne sont pas confrontés à des tensions aussi vives, ni à des situations de crise. Mais beaucoup décrivent une charge mentale difficilement soutenable, qui finit par peser sur leur santé, même lorsqu’ils encadrent de petites équipes. Darina, 38 ans, account manager dans une start-up tech à Paris, a renoncé à ses fonctions managériales il y a quelques mois. Pendant quatre ans, elle s’est investie sans relâche auprès de son équipe de neuf personnes : s’adapter aux tempéraments, ajuster la distance, rester disponible sans jamais cesser d’écouter.

« Il m’arrivait de me réveiller à 4 heures du matin, rattrapée par une décision mal dosée, un mot de soutien que j’aurais dû formuler autrement. Je passais mon temps à chercher comment être présente sans trop en faire, accompagner sans étouffer. » Mais le plus difficile, pour elle, ce n’a pas été la charge ni les conflits. C’est ce moment, plus trouble, où elle a cessé d’être alignée avec ce qu’on attendait d’elle, quand la direction lui a demandé de classer ses collaborateurs en dessous des objectifs lors des entretiens annuels, alors même qu’ils les avaient atteints.
« Après le Covid, le secteur de mon entreprise a connu un revers important. Mais au lieu d’assumer la situation et de dire clairement qu’il n’y aurait pas d’augmentations cette année-là, la consigne a été de revoir les évaluations à la baisse. Comme je n’étais pas d’accord avec cette façon de faire, sans conviction, j’ai joué le jeu de la direction. Mais ça s’est vu. Et j’ai perdu en crédibilité. »

« Trop de tâches, trop d’exigences »

Ce que racontent Justine et Darina n’a rien d’isolé. Leur expérience traduit un malaise plus profond, de plus en plus difficile à ignorer : le management en France traverse une crise sans précédent. Dans un rapport publié en mars 2025, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) compare les pratiques managériales de cinq pays européens. La France arrive bonne dernière, avec des résultats jugés « médiocres » et une position « peu flatteuse ». Le rapport pointe notamment un management très hiérarchisé, où la parole circule mal et où l’écoute peine à trouver sa place. Un mode de fonctionnement qui repose davantage sur l’autorité que sur la coopération.

Dans cet échafaudage rigide, le manageur de proximité occupe sans doute la place la moins enviable de l’organigramme. Son autonomie, déjà étroite, devient de plus en plus symbolique. Il applique ce qui descend, sans avoir prise sur ce qui se décide. À l’inverse, en Allemagne, en Irlande, en Italie ou en Suède, les autres pays étudiés dans cette étude, les pratiques managériales apparaissent plus ouvertes et plus axées sur la collaboration. Là-bas, les salariés semblent disposer d’une véritable marge de manœuvre sur l’organisation concrète de leur travail.

« En France, les manageurs de proximité doivent composer avec des injonctions contradictoires venues de trois pôles », observe Bertrand Martinot. Les salariés, d’abord, qui réclament plus d’autonomie, des horaires souples, un équilibre enfin respecté entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Ils ne veulent plus se contenter d’exécuter : ils cherchent du sens, une portée réelle, une écoute qui ne soit pas de façade. Les clients, ensuite, de plus en plus exigeants, en quête de réactivité, de solutions sur mesure, d’une agilité rarement compatible avec les standards établis. Et enfin, la direction, fidèle à ses process, à ses tableaux de bord, à ses indicateurs de performance. Une mécanique de contrôle rigide, qui grignote peu à peu le temps consacré au travail réel.

Pris entre des logiques qui s’opposent, le manageur de proximité fait ce qu’il peut. Mais jusqu’à quand pourra-t-il tenir ? Selon une étude Cluster17 pour Le Point, réalisée en mai 2025, 56 % ont déjà envisagé de quitter leur fonction, 47 % estiment que ce rôle a dégradé leur santé mentale, et 70 % se sentent régulièrement seuls. « Ce qui ressort, c’est un empilement : trop de tâches, trop d’exigences, et une difficulté croissante à décrocher le soir ou le week-end », résume Gaël Bouron, responsable adjoint des études de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec).

À la pression chiffrée s’ajoute une autre forme d’exigence, plus discrète mais tout aussi importante : rester humain, attentif, présent, même lorsque le quotidien déborde. « Aujourd’hui, on attend du chef d’équipe qu’il incarne ce qu’on appelle la vulnérabilité solide : conjuguer empathie, écoute, authenticité, tout en portant le poids du chiffre et des urgences quotidiennes. Le paradoxe est cruel : on lui demande d’être le plus humain de tous, mais lui n’a personne sur qui s’appuyer », souligne Vincent de Gaulejac, sociologue et professeur émérite à l’université Paris-Diderot.

« Manager, ce n’est pas dérouler un programme »

Isabelle a 53 ans. Elle a quitté son poste il y a quelques semaines. Pendant sept ans, elle a supervisé une flotte automobile à Rennes et une équipe de quatre personnes. À plusieurs reprises, elle a alerté sa hiérarchie en disant qu’elle n’y arrivait plus. « La première fois, c’était fin 2023. Personne n’a vraiment écouté. Ils pensaient que c’était une petite crise. Que ça me passerait. » Ce qui l’a usée, dit-elle, c’est moins la charge que l’écart générationnel avec ses équipes. Trente ans la séparaient des plus jeunes. Les visions du travail, de l’engagement, des relations entre collègues ne parvenaient jamais à s’accorder. « J’avais l’impression d’être avec mes gosses au bureau », confie-t-elle. Elle n’a pas flanché parce que c’était trop dur.
Elle a flanché parce que c’était toujours pour elle. Le travail qu’on ne faisait plus, les urgences posées sans un mot, les tensions à désamorcer, les solutions à trouver. Et personne, jamais, pour alléger ce poids-là. « Je n’ai jamais demandé à mes équipes de s’investir autant que moi. J’aurais aimé un geste, un peu de soutien, quand c’était à mon tour d’être sous l’eau. Mais c’était toujours à sens unique. » Comme souvent dans ce genre de situation, le corps a fini par dire stop. Isabelle ne dormait plus, ne récupérait plus. Son médecin a posé le mot : burn-out. Depuis, elle tente de réparer. De retrouver un peu de stabilité. Mais elle sait que ce sera long. Et elle ignore encore si elle pourra un jour retrouver le goût de ce métier qu’elle aimait tant.
Isabelle fait partie des 51 % de manageurs qui n’ont jamais vraiment souhaité encadrer une équipe. Elle a accepté ce poste pour mieux gagner sa vie, pour obtenir un peu plus de reconnaissance. Comme 30 % d’entre eux, selon une étude du cabinet Robert Walters publiée en 2024, elle n’a reçu aucune formation. Elle a appris sur le tas, dans l’urgence. « C’est une erreur structurelle que l’on continue de commettre : nommer manageur le meilleur technicien, explique Jean Pralong. Trop d’entreprises pensent encore que l’excellence opérationnelle suffit à faire un bon encadrant. Pourtant manageur, ce n’est pas seulement maîtriser un geste. C’est savoir faire faire, accompagner, arbitrer, déléguer. Résultat : on prive l’équipe de sa meilleure ressource technique sans garantir, pour autant, un management efficace. C’est la double peine. »
Il faut dire que côté formation, le bât blesse. Le rapport de l’Igas pointe un enseignement « très académique, peu tourné vers la coopération ». En France, avoir un bon diplôme suffit encore à ouvrir les portes du management. Grandes écoles de commerce, d’administration ou d’ingénieurs : les meilleurs éléments accèdent directement à ces fonctions, sans avoir encore réellement travaillé. « On considère qu’un énarque ou un polytechnicien est, par principe, apte à manager. Certains le sont, d’autres pas, même bardés de diplômes, souligne Bertrand Martinot. Manager, ce n’est pas dérouler un programme. Ce n’est pas comme les mathématiques : on peut être un bon manageur sans jamais avoir suivi la moindre formation. »

L’argent comme moteur

Pour de nombreux chercheurs, la racine du problème dépasse largement l’entreprise. C’est tout un modèle éducatif qui façonne, dès l’enfance, une vision hiérarchique et compétitive des rapports sociaux. Un système qui valorise l’obéissance plus que la curiosité, la performance plus que l’expérimentation. Caroline, 42 ans, directrice éditoriale à Paris, en a pris conscience quand ses enfants sont entrés à l’école.

« Très tôt, on met les enfants en compétition. On leur demande de rester assis, d’écouter, de suivre. Découvrir, jouer, s’ouvrir au monde ? On verra plus tard. C’est très descendant. Et jamais, dans ce cadre-là, il n’est question de plaisir ou de développement personnel. Encore moins de cultiver sa singularité. » Ce conditionnement ne s’arrête ni à la sortie de l’école, ni à celle de l’université. Il imprègne aussi la vie professionnelle, où l’ascension compte souvent davantage que la compétence elle-même. Peu importe que certains soient plus à l’aise dans l’opérationnel ou dans l’expertise : seule la prise de poste managériale est perçue comme une promotion, ce que reflètent très clairement les grilles salariales.

Ailleurs, d’autres logiques prévalent. Dans certains pays anglo-saxons, l’expertise ouvre des parcours à part entière, avec des perspectives d’évolution et de reconnaissance équivalentes à celles du management. Résultat, en France, toujours selon l’étude Cluster 17, c’est d’abord l’argent qui pousse à accéder à des fonctions managériales (51 %), bien avant le désir d’accompagner les autres (44 %) ou celui de peser dans les décisions (36 %).
Comme si l’exercice du pouvoir importait moins que les avantages matériels qu’il permet d’obtenir. « Valoriser davantage l’expertise serait une excellente chose et permettrait de résoudre une partie du problème. Cela éviterait que des personnes qui ne sont pas faites pour le management s’y engagent et d’avoir des salariés plus autonomes, reconnaît Jean Pralong. Mais l’idée a un défaut de taille : elle coûte cher. Très cher. Car pour reconnaître réellement deux parcours, il faudrait doubler les enveloppes. Alors, on renonce, on continue, mécaniquement, à promouvoir ceux qui auraient sans doute préféré rester sur le terrain, à faire ce qu’ils savent faire de mieux. »
Et quand bien même les nouveaux manageurs sont accompagnés dans leur prise de fonction, les formations restent brèves, trop théoriques, souvent déconnectées du réel. « Ce n’est pas en quelques jours qu’on devient manageur, glisse le professeur de gestion des ressources humaines. Certaines disciplines comme la psychologie, la sociologie ou le droit du travail peuvent éclairer la pratique. Mais diriger se construit ailleurs : dans l’expérience, le quotidien, la connaissance de l’autre. »

Quelques pistes pour recréer du lien

Nicolas, 45 ans, qui dirige un lieu de restauration collective à Lille, en est convaincu : on ne devient pas manageur en cochant des cases ni en suivant un programme. « On peut suivre des cours de communication non-violente, apprendre à désamorcer les tensions, à motiver ses équipes. Mais manager, ce n’est pas seulement une méthode, c’est aussi une manière d’être aux autres. Ça passe par une empathie juste qu’on ne maîtrise pas toujours, qu’on ne sait pas toujours nommer. »
Mais ça, sa direction ne l’a pas compris. En supprimant son poste, devenu trop lourd après une série d’erreurs de gestion, elle n’a pas vu qu’elle retirait un point d’appui à une chaîne humaine déjà fragilisée. Le jour où il a annoncé son départ, cinq membres de son équipe ont démissionné. Aujourd’hui, il le dit sans détour : sa valeur ajoutée ne tient pas seulement à ce qu’il a appris, mais à ce qu’il a traversé. Du temps passé à comprendre les autres, à s’ajuster à leurs silences, à leurs façons d’être. Elle se loge dans sa manière de les faire bouger, de les fédérer autour d’un projet. Pas d’autorité affichée. Juste une présence qui tient l’ensemble.
Alors, comment répondre à cette crise du management, recréer de la respiration, réparer ce qui peut encore l’être dans le travail ? Le chantier est vaste, mais quelques pistes émergent. Pour Bertrand Martinot, tout commence par un geste simple mais décisif : redonner du souffle, des moyens et une autonomie réelle. « Comme l’ont fait les salariés, il faudrait encourager la création de communautés de pairs, dans lesquelles les manageurs intermédiaires pourraient échanger, se soutenir, apprendre les uns des autres, dans la durée, et enfin peser collectivement », propose-t-il. Sortir de l’isolement. Faire tomber les masques. Réinventer des lieux où l’on peut dire ce qui, peu à peu, ne se dit plus. Et surtout, cesser de croire qu’un process remplace la confiance, qu’un tableau de bord vaut un regard, qu’une interface suffit à reconnaître l’effort.
Encore faudrait-il que la fonction RH, censée veiller à l’humain, sache ce que travailler veut dire. C’est ce que beaucoup de manageurs murmurent, souvent à demi-mot : ceux qui organisent le travail ne le connaissent plus vraiment. Non par malveillance, mais parce qu’ils s’en sont éloignés. « En se professionnalisant, la fonction RH s’est éloignée du terrain. Elle ne connaît plus vraiment les métiers, ne sait pas ce que font, concrètement, les équipes. Elle ne voit pas les gestes, ne perçoit ni les tensions, ni les équilibres fragiles. Et dans ce silence, c’est au manageur de proximité qu’il revient, seul, d’absorber ce que l’organisation ne veut plus regarder en face », glisse Jean Pralong, pour qui il est urgent de repenser ce rôle. Et de ne plus laisser à celui qui encadre la charge de ce que l’organisation refuse de faire.

Prendre soin de l’humain

Aussi, dit-il, il est temps d’accepter une évidence trop rarement formulée, parce qu’elle dérange : au sein d’une même organisation, chacun avance avec ses propres contraintes. Les urgences ne sont pas les mêmes à tous les étages ; ce qui se décide en haut ne tient pas toujours compte de ce que le bas peut absorber. C’est un décalage avec lequel il faut apprendre à composer. Mais il appelle un déplacement. Apprendre à reconnaître le travail de l’autre, dans ce qu’il apporte à l’ensemble. Comprendre qu’une organisation tient justement parce que chacun, à sa place, assume sa part du mouvement.

L’entreprise n’est pas un empilement de fonctions, mais un équilibre vivant. Un équilibre qui ne tient que si l’on accepte d’en partager la charge. Cela suppose de former les manageurs, bien sûr, mais aussi ceux qui les encadrent, à cette idée simple : pour beaucoup de salariés, l’identité professionnelle ne se résume ni à une mission, ni à une fiche de poste. Elle passe aussi par des relations de travail apaisées, valorisantes, qui donnent de l’élan, ouvrent des perspectives. Par le sentiment, intime et essentiel, d’avoir bien fait son travail. Et cela, aucun indicateur de performance ne pourra jamais le traduire.
Pour Vincent de Gaulejac, cette crise impose de repenser le travail, au-delà des ajustements de surface. Alléger la charge ou améliorer les outils ne suffira pas. Il faut redonner toute sa place à la réflexion sur le travail lui-même, sur ce qu’il engage, ce qu’il exige, et ce qu’il abîme parfois. Permettre aux manageurs de faire une pause, de reprendre le fil de ce qu’ils font, et pourquoi ils le font. Écouter, aussi, ce qui ne se dit plus. Responsabiliser chaque échelon hiérarchique, accepter de nommer ce qui ne va pas, prendre le temps d’expliquer les choix, leurs conséquences concrètes et ne pas fuir les interrogations, même lorsqu’elles dérangent.
Car ce que révèle cette crise, au fond, c’est une inversion qui ne dit pas son nom : l’humain, peu à peu, est devenu une ressource comme une autre, interchangeable, au service d’un système qui s’autonomise. Changer de cap suppose de rappeler que le travail n’est pas toujours une fin en soi. Que l’entreprise, elle non plus, ne peut prétendre faire monde toute seule. Pour avancer, elle a besoin d’humains. Et au cœur de cette mécanique fragile, le manageur intermédiaire occupe une place décisive. Le reconnaître, ce n’est pas renoncer à l’efficacité. C’est rappeler qu’un manageur écouté, soutenu, respecté, fait mieux travailler toute une équipe. Et que le soin porté à l’humain finit toujours par produire de meilleurs résultats.

Auteur(s)
  • Photo :

    Jean Pralong Professeur en RH digitales et gestion des carrières