Le roi est mort, vive le roi !
Quand nous allons chez Pic à Valence, le chef Anne-Sophie Pic n’est pas en cuisine pour préparer notre plat ; sinon comment se ferait-il que la cuisinière triplement étoilée est en même temps en train d’ouvrir un nouveau restaurant à Singapour ? Aurait-elle le don d’ubiquité ?
Le rôle d’une marque quand bien même celle-ci comporterait des traits humains est de dépasser la personne physique incarnée par son créateur par le biais d’actions d’intégration (« fit-in ») et de différenciation (« stand out ») (Parmentier, 2012). Après le décès de son père, Anne-Sophie Pic, a choisi de tout quitter pour créer avec l’aide de son mari, la marque Pic. « Le roi est mort, vive le roi », nous dit Kantorowicz (1957/1989), mais dans le cas de Pic, la légitimité reposait sur une filiation naturelle (Weber, 1915/1996) manifeste dans le domaine de la cuisine. Inscrivant la marque dans un lignage, celle-ci devenait alors immortelle (Dion, de Boissieu, 2013). Or, qu’en est-il de l’avenir d’une marque de mode qui porte le prénom de son fondateur récemment disparu ? Comment la marque peut-elle se passer de la présence charnelle du fondateur, lui survivre, voire même le dépasser avec l’aide d’un nouveau directeur artistique ?
Regards croisés : une marque, un chercheur
Une histoire commune
« Le nouveau directeur artistique Felipe Baptista a un peu cette même histoire d’un garçon venu d’une partie du monde très éloignée apparemment de l’univers de la mode, ayant tout plaqué pour monter carrément à Paris, la capitale de la mode, et révolutionner le secteur », nous dit Bruno Alazard (CDO, Kenzo).
Des valeurs révélées
« C’est vrai que Kenzo Takada a toujours adoré le Douanier Rousseau et le tigre est devenu un vrai symbole pour la marque ; pour autant, quand Felipe est arrivé et a plongé des semaines dans les archives de la maison, ce n’était pas pour y réinterpréter au premier degré des collections de Kenzo Takada ; ce qui l’intéressait c’était de comprendre quelles étaient les valeurs qui l’avaient animé au départ, qu’est ce qui avait porté ce jeune japonais des années 70 à tout abandonner, prendre un bateau pendant 6 mois jusque paris et monter sa marque sans aucun réseau ni argent dans le secteur ».
Un fondateur charismatique
« Kenzo Takada faisait partie de cette bande des années 70 avec Sonia Rykiel et Karl Lagerfeld et était dans les premiers à créer des vraies collections abordables dans la mode. Son style à lui c’était la joie de vivre, la gaité, la couleur, sur toutes les photos de lui, il se marre et ne se prend pas au sérieux et depuis son décès ce week-end, les gens du monde entier nous envoient des photos de lui parce que c’était vraiment l’ami de tout le monde, un créateur simple avec pourtant un vrai savoir-faire technique sur la structure, la coupe, un savoir-faire au service de la liberté ».
Une marque empathique et engagée
Récemment, la marque Kenzo s’est rapprochée de WWF pour contribuer à la protection des tigres, espèce en voie de disparition : « c’est loin d’être une opération de communication, on a un engagement de long terme avec le WWF ».
Une histoire vraie, un créateur modeste, une énergie et une gaité débordantes, de belles valeurs, finalement, est ce que ce n’est pas tout simplement l’empathie de Kenzo Takada (Batat, 2020) portée aujourd’hui par la marque Kenzo et son nouveau directeur artistique qui rendrait la marque de luxe éternelle ?
Elodie de Boissieu, EM-Normandie – Directrice Académique / MSC Luxury and Lifestyle.