Les consultations citoyennes peuvent-elles redéfinir la légitimité politique ?

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Aurait-on vécu en France, d’autres crises économiques, sociales, sanitaires et environnementales si les citoyens avaient été consultés ?

Ces dernières années, on a pu constater la volonté de renforcer l’ancrage de la prise de décision publique sur les préférences citoyennes pour des raisons de transparence et d’efficacité de l’action publique.

Les décideurs politiques visent notamment à instaurer une gestion plus performante et plus démocratique au bénéfice des citoyens à l’exemple de la Conférence citoyenne sur le climat et le « grand débat national » sous l’égide de l’État pour faire suite à la crise des « gilets jaunes ». Mais pas que, se sont aussi développés les jurys citoyens, les conseils de citoyens, les conseils consultatifs de citoyens et les conseils de quartiers dans les instances des collectivités territoriales. Ces outils permettent aux citoyens d’observer, d’amender, de proposer, de conseiller les décideurs politiques afin qu’ils puissent adapter les programmes d’action publique, juger des choix effectués et, des effets sur la collectivité.

La crise sanitaire a fait émerger un écosystème citoyen au sein des collectivités territoriales autour d’un certain nombre d’outils de consultation : comité de citoyen de transparence aux Antilles et, sur la métropole, la mise en place de comité de liaison citoyen, de convention citoyenne Covid-19, de commission citoyenne de crise sanitaire. Ces différents outils ont pour objectif de faire participer les citoyens à la connaissance de la crise sanitaire et adapter et améliorer les décisions prises pour vivre avec la Covid-19.

Cette dynamique citoyenne s’est élargie au sein du gouvernement avec la création d’un comité de citoyen sur la stratégie vaccinale. Ces différentes instances citoyennes sont souvent à l’initiative des décideurs politiques en place.

Des candidats à l’élection présidentielle encouragent le dialogue citoyen

À ce jour, ce volontarisme politique s’observe principalement chez les candidats de gauche (Jean-Luc Mélenchon ; Anne Hidalgo ; Fabien Roussel ; Yannick Jadot) et d’extrême droite (Marine Le Pen). Les autres candidats ne semblent pas s’y intéresser ou n’ont pas encore répondu dans ce sens.

Reste une question : celle du mode de prise en compte par ces candidats de ces consultations. En d’autres termes, faut-il muter d’une démocratie représentative à une démocratie directe ?

On pourrait ici faire référence au Jury Citoyen qui amène généralement la constitution d’un groupe de citoyens ordinaires (entre 15 et 25 personnes) tirés au sort et qui s’engage à être assidu tout au long d’un processus de délibération qui dure quelques jours. Les participants sont mis en situation d’apprentissage sous la coordination d’experts ou de représentants d’intérêts organisés : ils sont accompagnés jusqu’à la formulation de leur jugement. La décision finale, le « vote », résulte alors d’un débat public confrontant différents points de vue pour aboutir à un consensus.

Faut-il les rendre à l’avenir largement décisionnelles, c’est-à-dire inscrire la participation citoyenne dans la durée, par des échanges, des prises de position enchevêtrées mais aussi dissociées au fil du temps, en considérant l’avis, les besoins et les attentes des citoyens ? On pourrait ici faire référence aux conseils citoyens composés de deux collèges paritaires. Le premier concerne des habitants dits « citoyens ordinaires » tirés au sort ; le second est celui de représentants d’associations ou d’autres acteurs locaux (commerçants, professions libérales…).

Le RIC, un outil plébiscité par plusieurs candidats

La crise des « gilets jaunes » et l’une de leur revendication les plus marquante, le Référendum d’Initiative Populaire (RIC) semblent avoir eu un effet chez de nombreux candidats.

Cet outil ressort pour approuver ou rejeter une politique mais souvent à la « sauce » des candidats : Référendum d’Initiative Populaire pour Marine Le Pen ; Référendum d’Initiative Citoyenne pour Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Yannick Jadot. Et pour Fabien Roussel, un référendum pourra être déclenché lorsqu’un million de citoyens auront demandé à être consultés sur des questions relevant de l’organisation des pouvoirs publics, des changements constitutionnels, ou des traités internationaux.

Toutefois, Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon se démarquent en allant un peu plus loin dans l’institutionnalisation du partage de la décision avec les citoyens sur du long terme. Pour Anne Hidalgo, l’idée d’un Conseil de la Société Civile et une Conférence Départementale de la participation sera mise en place dans chaque département. Yannick Jadot a quant à lui, a invité la société civile à participer à sa campagne via un Conseil de la démocratie. Quant à la proposition de Jean-Luc Mélenchon, celle-ci semble aller encore plus loin, puisque son projet d’une nouvelle constitution, sous le contrôle des citoyens avec la création d’une Assemblée constituante, participerait à la VIe République démocratique.

Appel citoyen

Dans ces différents contextes, les décisions ne seraient plus le fait d’un unique décideur tout puissant mais bien le fruit d’une concertation entre plusieurs parties prenantes ayant des intérêts différents.

Les citoyens, en observant et analysant l’action publique, en prodiguant des conseils et des recommandations aux autorités ayant une influence effective sur la décision publique œuvrent à la prise en compte des intérêts et des besoins des citoyens dans la gestion de tous types de crises. En contrepartie, ils sont informés, consultés et donc partie prenante de la décision publique.

Nous avons mené une étude sur 315 personnes du 20 avril au 11 mai 2020, lors du premier confinement, sur la question de l’anticipation et de la gestion de la crise sanitaire dans ce cadre citoyen.

Les résultats montrent que les individus ont perçu un déficit d’information et de gestion collective durant la crise. Il ressort un besoin d’instauration d’instances citoyennes fondées sur la co-construction de l’action collective dans le domaine médical. Pour autant, cet écosystème citoyen montre que la démarche se déploie dans un schéma centraliste (les politiques restent les seuls décideurs), ce qui laisse peu de place aux citoyens dans le processus décisionnel.

Crise de la légitimité politique

On se retrouve ici confronté aux limites de l’exercice. Les décideurs politiques pensent avoir toute légitimité pour décider. Certains ne comprennent pas pourquoi les citoyens remettraient en cause leur mandat. Pour eux, le citoyen n’est pas reconnu comme légitime pour codécider.

Pourquoi, alors mettre en place des outils de participation citoyenne ? Les décideurs politiques cherchent-ils tout simplement à faire le « buzz » d’une véritable démocratie participative ? On constate que ces différentes instances citoyennes ne s’inscrivent pas durablement dans le temps.

Beaucoup d’entre elles sont en sommeil, certaines se sont éteintes d’elles-mêmes, d’autres vivotent, d’autres demeurent des effets d’annonce. L’initiative alsacienne impulsée par les élus de sortir de la région Grand Est montre une volonté d’associer les citoyens à l’avenir de la région mais sera-t-elle suivi des faits ou est-ce un simple outil de communication ?

Si les citoyens expriment un fort besoin de participer à la prise de décision publique, beaucoup d’entre eux pensent que les décideurs n’ont pas confiance en leur parole. Ce constat peut être un frein à la démocratie participative.

Quant aux décideurs politiques, ils ont peur de perdre leur légitimité politique, de se laisser déborder voire de ne pas savoir répondre aux choix citoyens. Par conséquent, la pertinence de la décision citoyenne résiderait dans « le vote » qui reste pour ces décideurs « le seul moment et/ou le seul outil » où les citoyens peuvent décider.

Un volontarisme politique contrasté

Ce volontarisme politique pourrait procéder de la mauvaise utilisation voire de l’instrumentalisation de la démocratie participative par les décideurs.

Ces derniers peuvent en effet trouver dans la participation citoyenne l’opportunité de conforter leur image, de porter leurs options propres et leurs intérêts politiques, et se sentir dès lors nullement engagés par les positions citoyennes. Les politiques peuvent également courir des risques quant à leur réélection en prenant des décisions finales fondées sur les seuls résultats de la consultation citoyenne.

Les décideurs politiques devraient s’adapter aux moyens dont ils disposent et aux garanties juridiques et éthiques pour faire de la consultation citoyenne un vrai outil effectif dans la décision publique. La consultation citoyenne aiderait à mieux considérer les élus et permettrait d’éviter des situations difficiles, telles les lacunes en matière d’information.

Les décisions, prises dans l’urgence et souvent improvisées pour faire face aux crises majeures, l’ont été sans consultation démocratique, avec des controverses récurrentes qui suscitent de la défiance voire du rejet, contrariant l’acceptabilité sociale et dès lors l’efficacité des mesures adoptées.

C’est donc la pertinence de la gouvernance des politiques publiques à l’œuvre, avant et pendant les crises, qui se trouve réinterrogée. Il convient de chercher à tirer tous les enseignements des problèmes rencontrés tant du point de vue de l’anticipation que de la gestion de crise pour chercher à préciser comment pourrait être refondée sur ces bases l’action collective. Ce fameux « effet miroir » où les citoyens vivant le quotidien peuvent aider les décideurs politiques à mieux connaître les attentes et les besoins citoyens.

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