Comment une Grande école de commerce engage une dynamique inclusive ? Eléments de réponses à la lueur de l’expérience de deux enseignants-chercheurs de l’EM Normandie, Ludovic Jeanne et Sébastien Bourdin, qui ont accompagné Pierre, un étudiant en situation de handicap dans le cadre de son mémoire de fin d’études et de son projet de thèse. Rencontre avec ces deux personnalités engagées.
Aviez-vous déjà accompagné dans le cadre de travaux de recherche ou dans vos cours des apprenants neuro-atypiques ?
Ludovic Jeanne. C’était pour moi une « première ». Le service Équilibre et Inclusion de l’école m’a proposé d’encadrer Pierre que je connaissais déjà. Je n’avais donc aucune réserve, ayant apprécié les échanges en cours et son souci de poser des questions pertinentes ainsi qu’une implication que l’on aimerait trouver chez tous nos étudiants.
Sebastien Bourdin. Non : il est vrai que je ne connaissais pas bien ce type de handicap. A priori, on peut être dérouté et on ne souhaite surtout pas faire d’impair avec l’étudiant.
Avez-vous dû adapter votre posture ou votre manière d’appréhender l’accompagnement ?
LJ. En fait, je crois que je n’ai pas cherché à « adapter» mais plutôt à modifier la façon de mettre en œuvre quelques facettes de l’encadrement du mémoire pour faire en sorte que le processus ne butte pas sur les troubles de Pierre. Mais le processus lui-même a suivi les mêmes étapes que pour n’importe quel autre étudiant. Il faut sans doute accepter de « dilater» le temps mais sans sortir de la logique de base des étapes à franchir, de la fixation de dates de remise, etc.
SB. J’ai avant tout cherché à être bienveillant, tout en essayant de ne pas montrer une quelconque différence de traitement, même si, dans les faits, j’avais en tête les troubles autistiques de Pierre. Dans la construction de son sujet de doctorat, tout l’enjeu a été de le canaliser, d’essayer de proposer un chemin de réflexion dans lequel il se retrouverait intellectuellement et qui soit faisable dans le cadre d’une thèse.
Avez-vous ressenti cela comme une charge supplémentaire ? Cela vous a-t-il interrogé sur vos pratiques de manière plus globale ?
LJ. La seule « charge» additionnelle est la question du temps : il faut pouvoir accorder plus de temps à un étudiant comme Pierre si l’on veut sérieusement qu’il atteigne son but. Il faut donc que l’encadrant, appuyé par son école, dispose réellement de ce temps. Sur ce point, des progrès doivent encore être faits.
SB. Encadrer une personne comme Pierre demande une charge de travail supplémentaire. Dans le même temps, s’il est bien « drivé», il peut faire avancer un projet très rapidement et, au final, ce n’est jamais une perte de temps que de le rencontrer pour échanger sur ses interrogations quant à la rédaction du projet de thèse. Autant que possible, j’essaye d’être très réactif. C’est la clé !
En tant que chercheur et enseignant, qualifieriez-vous cet exercice comme plus stimulant ?
LJ. Oui parce qu’on a un cadre qui permet de rétablir la « normalité », c’est-à-dire la priorité à l’humain, à la formation d’une pensée personnelle, avec ses rythmes et ses détours singuliers. L’expérience humaine de cet encadrement est un facteur de satisfaction très fort.
SB. Définitivement oui ! Il est indispensable de prêter attention à la relation que l’on entretient avec son étudiant, une relation individuelle, et dans le cas de Pierre une relation singulière même !
Quels ont été les éléments qui pourraient inciter vos collègues à accompagner un jeune neuro-atypique ?
LJ. Pierre fait face de manière très intelligente à ses troubles : il en parle et nous l’évoquons ouvertement. Par ailleurs, il faut vraiment pouvoir desserrer l’étreinte du calendrier sans en perdre la maîtrise. Mais également pouvoir être formé à l’accompagnement des handicaps dans un parcours d’enseignement supérieur. Notre manque d’expérience représente une source de risques que nous pourrions sans doute réduire par une sensibilisation des enseignants-chercheurs volontaires.