Qualité de vie au travail : gare aux dérives !

Photo : Qualité de vie au travail : gare aux dérives !

Pour une vraie qualité de vie au travail, ne faut-il pas repenser les actions menées en ce sens et remettre le travail au cœur du processus ?

Depuis une dizaine d’années, la qualité de vie au travail (QVT) est devenue un enjeu majeur de performance, d’attractivité et de responsabilité sociale au sein des entreprises. Le glissement sémantique qui s’est opéré progressivement des risques psycho-sociaux (ou RPS) en faveur de la notion de QVT, moins clivante et moins négative, ne doit pas faire oublier qu’il s’agit bien initialement d’un moyen de prévention des risques inhérents au travail. D’ailleurs, depuis le 31 mars 2022, le remplacement de la QVT dans le Code du travail par l’appellation de « qualité de vie et des conditions de travail » (QVCT) vient rappeler cet ancrage originel.

La QVCT se définit comme étant « les conditions dans lesquelles les salarié.es exercent leur travail, et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci, qui déterminent la perception de la qualité de vie au travail qui en résulte ». En mettant l’accent sur les conditions d’exercice effectif du travail, la QVCT souligne que la qualité de vie au travail est avant tout une affaire d’organisation et de situations professionnelles concrètes.

Un recentrage nécessaire

En effet, il ne s’agit pas là d’un simple changement terminologique, mais d’un recentrage stratégique sur ce que doit être la QVCT. Contrairement aux dérives de « great washing » observées ces dernières années, celle-ci ne consiste pas à aménager des espaces de détente (baby-foot, ping-pong…) ou des actions de bien-être périphériques (cours de sophrologie, de yoga…), souvent décorrélées du travail. Le terme « great washing » renvoie précisément à ce découplage progressif entre les réalités internes du travail et les opérations de communication et d’affichage marketing en faveur du bien-être promues par l’entreprise. Il fait référence au green washing des organisations, qui orientent leur communication vers un positionnement écologique, souvent de façade.

Ces pratiques peuvent être contre-productives, car elles se centrent principalement sur l’individu (et non sur le professionnel dans une activité organisée) et inscrivent les salariés dans une forme d’injonction au bonheur (« Tout a été fait pour les rendre “heureux ” »), qui renforce l’idée qu’ils sont l’origine du problème. Le contenu du travail est le cœur de la cible, c’est la priorité n° 1 en matière de QVCT. Le contenu du travail renvoie notamment à la question de l’autonomie, à l’adéquation objectifs/ressources, à la variété des tâches accomplies, à la charge de travail, mais aussi aux relations interpersonnelles et aux pratiques managériales. En bref, à la liberté et aux moyens que chacun a d’agir, d’évaluer et de faire évoluer son travail. Or, aujourd’hui, les accords QVT n’abordent que peu ces sujets stratégiques, qui expliquent pourtant une partie de la crise actuelle du travail et beaucoup de situations de mal-être professionnel.

Trois principes essentiels

Pour être efficaces, les actions en faveur de la QVCT doivent être centrées sur le travail et sur son organisation, et doivent s’appuyer avant tout sur trois axes :

Elles doivent d’abord être une opportunité de réfléchir à la charge de travail, à ses conditions d’exercice (flexibilité des horaires, accès au télétravail, refonte des espaces de travail, déconnexion), aux ressources disponibles (répartition de la charge de travail et des responsabilités, qualité des outils permettant de bien travailler), au sens de l’activité, au soutien managérial, etc. Rappelons que la possibilité de bien effectuer ses missions est l’un des piliers de bien-être au travail.

Elles doivent ensuite donner la possibilité aux salariés de s’exprimer et de participer à toutes ces dimensions du travail, en matière d’organisation, de management et de prévention santé. Logiquement, elle vise à réfléchir à la culture d’entreprise et à questionner les normes en lien avec la valorisation, la reconnaissance ou encore l’engagement au travail.

Enfin, elles ne doivent pas oublier que ce sont l’écosystème entier et le collectif de travail qui doivent être impliqués dans cette démarche générale. La démarche QVCT s’est beaucoup focalisée sur l’individu en tant qu’humain (services de conciergerie, cours de yoga, séminaires de gestion du stress…) et non en tant que professionnel dans une activité organisée, abandonnant largement la dimension organisationnelle dans les facteurs agissant sur le bien-être au travail. Or le salarié s’inscrit dans une activité organisée, dans un contexte relationnel et matériel de travail donné, avec une stratégie qu’il ne décide pas, des rapports de pouvoir et de domination auxquels il doit se conformer… Cette tendance à l’individualisation des problématiques du travail qui a caractérisé la QVT fait basculer un peu plus l’origine des problèmes du côté des salariés, et non du côté des problèmes structurels ou systémiques.

Ces éléments font ressortir les fondamentaux du bien-être au travail. Celui-ci ne se réduit pas à la simple maximisation des plaisirs (dimension hédonique), mais il englobe l’alignement du salarié avec les valeurs du travail bien fait, le sens des missions conférées, des relations positives avec un collectif de travail, la capacité à satisfaire ses besoins d’autonomie, de compétences, de développement afin de réaliser son plein potentiel. La qualité de vie et des conditions de travail doit être avant tout cette opportunité eudémonique !

Auteur(s)
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    Sabrina Tanquerel Professeur assistant en gestion des ressources humaines et développement personnel

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