La viande cellulaire va-t-elle remplacer celle de l’élevage ?

Photo : La viande cellulaire va-t-elle remplacer celle de l’élevage ?

Cette viande produite selon des procédés biotechnologiques continue son ascension dans l’univers de l’alimentation. Présentée pour la première fois en 2013 par un chercheur néerlandais qui la proposait alors dans un hamburger pour 250 000 euros, elle attire désormais de nombreuses startups ainsi que des investisseurs. Va-t-elle remplacer la viande conventionnelle ?

Viande cellulaire vs viande d’élevage : une réponse à des enjeux sociétaux

La viande cellulaire propose de résoudre deux problèmes majeurs de l’élevage conventionnel : sa faible durabilité et la maltraitance animale. L’élevage conventionnel, celui qui produit la viande que nous consommons aujourd’hui est, en effet, fortement émetteur de gaz à effet de serre. D’après le ministère de l’Agriculture, il serait notamment responsable de 68 % des émissions de méthane en France. C’est également une production qui consomme de l’eau. La viande cellulaire permettrait ainsi de limiter ces externalités négatives en réduisant le nombre d’animaux dans les champs. Il permettrait également de lutter contre les maltraitances animales alors que l’association L214 s’est fait l’écho de pratiques intolérables dans certains élevages intensifs et abattoirs.

Des contre arguments qui s’affûtent

Ces nouveaux aliments ne sont pas nécessairement vertueux sur le plan de la durabilité. En effet, la production de cette viande nécessite des bioréacteurs, des cellules d’animaux, des nutriments et de l’énergie. D’une certaine façon, l’animal est remplacé par une machine qui, elle-même est productrice de gaz à effet de serre. Par ailleurs, sur le plan du bien-être animal, les technologies progressent mais jusqu’à une période récente, certaines nécessitaient du sang de fœtus pour nourrir les cellules. Il fallait donc passer par l’élevage d’animaux, la gestation et même la mise à mort. Dans le même temps, l’élevage conventionnel, sous la pression des associations militantes, a été contraint d’améliorer ses pratiques d’abattage. Des recherches sont, par ailleurs menées pour réduire les émissions de gaz à effets de serre des ruminants.

Technologie contre terroir

Comme toute innovation, la viande cellulaire va rencontrer des difficultés pour s’imposer sur le marché de l’alimentation, à l’instar de la méthanisation agricole que la Chaire Modèles Entrepreneuriaux en Agriculture de l’EM Normandie a étudié aux cours des cinq dernières années. Le principal verrou à contourner est le rapport du consommateur français avec l’alimentation. En France, nous aimons les produits du terroir. Or, la viande cellulaire n’a rien à voir avec le terroir : c’est une production en laboratoire qui, en termes de vivant, ne s’appuie que sur des cellules prélevées sur des animaux. Le terroir, c’est aussi l’aménagement du territoire. Or, les activités d’élevage contribuent à l’attractivité touristique des territoires ruraux, à l’approvisionnement des cantines et à la production de produits dérivés comme le cuir. Remplacer la viande conventionnelle par de la viande de synthèse reviendrait à rompre avec une tradition culturelle française et avec plusieurs pans de notre économie.

Pour l’instant, certaines startups voient la viande cellulaire comme un produit de niche destiné à une clientèle riche, citadine, prêter à payer très cher une expérience alimentaire atypique. C’est probablement la meilleure stratégie à suivre pour le moment. Mais à mesure que ces nouveaux aliments vont s’affirmer et que leurs prix vont baisser, ce sont bien les consommateurs de masse qui seront ciblés et notamment ceux qui consomment des aliments issus de l’élevage intensif. C’est d’ailleurs ce type d’élevage qui a le plus à craindre de la viande cellulaire, pas l’élevage de petite ou moyenne dimension qui aura son terroir comme avantage concurrentiel. Un aliment dans des assiettes dorées pour l’instant mais pour combien de temps ? Un beau sujet d’études pour nos étudiants en gestion de projets.

Auteur(s)
  • Photo :

    Roland Condor Titulaire de la chaire MEA - Professeur associé en entrepreneuriat

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