Quand les supporters du Stade Malherbe Caen donnent une leçon de management

Photo : Quand les supporters du Stade Malherbe Caen donnent une leçon de management

La première partie de la saison de Ligue 1 et de Ligue 2 (saison 2021-2022) a été émaillée de scènes de violences entre supporters. Les dernières en date ont eu lieu le 17 décembre dernier à l’occasion du match de 32e de finale de la Coupe de France entre le Paris FC et l’OL. On peut également citer le chant des Ultras niçois contre Emiliano Sala.

Pourtant, d’autres supporters, comme ceux du Stade Malherbe Caen (Ligue 2) montrent l’exemple et contribuent à l’attractivité d’un club dont les résultats ont jusqu’ici été plutôt en deçà des attentes. Le contraste est flagrant et invite à questionner l’influence contributive de ces kops de supporters tels que celui du MNK (Malherbe Normandy Kop). Ainsi, quel est leur impact sur la création de valeur ? En quoi constituent-ils une source d’attractivité d’un club ? En quoi leurs actions devraient-elles inspirer les entreprises ?

Le match Caen – Paris FC : le coup d’envoi d’un nouveau style de supporters du Stade Malherbe ?

Flash-back au 20 novembre 2021. Le Stade Malherbe Caen (SMC) reçoit dans son enceinte du stade Michel d’Ornano le Paris FC. Après 6 matchs sans victoire, le SMC est en recherche de confiance et de…points. L’arbitre siffle le coup d’envoi de la rencontre en présence du rappeur local Orelsan. Après un premier quart d’heure marqué par une grève des encouragements, les supporters de la tribune Borrelli commencent à déployer des banderoles qui reprennent des paroles de leur icône, par exemple : « Tu paries la moitié de ton salaire que Caen va gagner : mauvaise idée », Quand Est-ce que ça s’arrête », « laisse-moi tout t’expliquer, le problème, c’est l’ennui ». Ainsi, plutôt que de siffler ses joueurs ou de jeter des bouteilles sur le terrain, les supporters de la tribune Borrelli décident de jouer une autre carte, celle de l’autodérision et de l’humour. A la 64ème minute, l’équipe visiteuse ouvre le score. Les supporters du MNK déplient alors une autre banderole qui fait directement écho au tube d’Orelsan Seul avec du monde autour : « J’rejoins mon père au stade, on prend 2 buts, on prend 2 bières, J’retourne chez moi, j’allume FIFA, j’reprends Malherbe J’continue d’perdre ». Peu de temps après et à quelques minutes seulement du coup de sifflet final, ils reprennent à leur façon une autre chanson d’Orelsan, La terre est ronde : « Au fond, j’aime le Stade Malherbe, je ne sais pour quelle raison. Non seulement on ne fait que de perdre, mais en plus on perd à la maison ». A cet instant et pendant de longues minutes, les supporters de la tribune Borrelli entonnent ce refrain…Score final : 0-1. Scène finale : Borrelli acclame les joueurs du Paris FC qui venaient juste avant de saluer leurs propres supporters.

L’humour, à la base des valeurs à porter en entreprises

En choisissant de s’inspirer des chansons d’Orelsan, le comportement des supporters de la tribune Borrelli a été exemplaire : montrer un certain mécontentement suite aux derniers résultats de leur équipe mais d’une manière humoristique, positive, originale et en conformité avec les valeurs sportives (respect de l’adversaire…). Des études portées par des universitaires, tels que Marco Sampietro ont montré qu’« il est temps d’introduire un grain d’humour dans les outils de management et de le considérer d’un point de vue scientifique, c’est-à-dire non pas d’une perspective romantique, mais d’une perspective qui nous permettra de comprendre un aspect fondamental des relations humaines ». De telles études attestent ainsi que l’humour renforce le leadership et permet aux managers de tirer le meilleur parti des compétences de leurs collaborateurs en suscitant une bonne ambiance de travail. Plus précisément, les supporters du MNK ont mis en pratique un leadership bienveillant qui vise à agir en premier lieu en fonction de l’intérêt supérieur du collectif. Toutefois, selon Cohen (2013), « le leadership bienveillant ne peut être mis en œuvre de manière durable que par des personnes authentiques, empathiques, lucides, capables d’altruisme et de générosité ». De plus, et comme le souligne Eric Albert (Associé-gérant d’Uside), il existe en France une tendance à manier « plus volontiers le reproche que le compliment, la critique négative plutôt que l’encouragement. Bien souvent, les dirigeants accablés par le poids de leur responsabilité et par l’accumulation des problèmes qui leur remontent, prennent tout avec gravité, voire au tragique… Les dirigeants ont donc un travail à faire sur eux-mêmes pour transmettre de la légèreté. Pour montrer que si ce qui est fait est sérieux, pour autant cela peut être pris avec une certaine distance et sans se départir de sa bonne humeur ». Selon Serge Grudzinski, PDG du cabinet Humour Consulting Group (HCG), cette bonne humeur est encore plus importante « par temps de crise », car « les réunions classiques au cours desquelles un dirigeant se contente de délivrer un message – par la seule voie cartésienne -puis de s’en aller, ce n’est vraiment pas sérieux ! ». De la légèreté et de l’humour, les supporteurs de Malherbe n’en manquent pas ! En tant qu’organisation sportive, le SMC sait également manier l’humour : sur son compte twitter, on peut lire « Ne pas nous suivre si vous êtes cardiaque ». Et en entreprises, qu’en est-il ?

Le capital Supporters vs capital humain : une source de création de valeur

Les actions menées par le MNK lors de ce fameux match du 20 novembre 2021 montrent aussi que les supporters constituent un capital à part entière (qu’ils peuvent contribuer à bonifier) au même titre que le capital humain (les joueurs) ou le capital marque (le club). En tant que capital immatériel, les supporters de la tribune Borrelli ont prouvé qu’ils ont le pouvoir de valoriser l’image et la notoriété de leur club. Cet empowerment, qui consiste à exercer un certain pouvoir, est mesurable : par exemple, les entraîneurs des clubs adverses n’hésitent pas à relayer publiquement l’influence positive des supporters caennais, tels que Bruno Irles, l’entraineur de Quevilly-Rouen-Métropole (aujourd’hui entraineur de Troyes) : « ça fait plaisir de voir qu’on peut avoir des vrais supporters qui savent aussi manier le second degré et ne sont pas uniquement dans la haine de l’adversaire. Je suis un peu les réseaux sociaux, et c’est sympa, parce qu’ils font passer le message : ils disent que c’est nul quand ça l’est, mais tu n’es pas obligé non plus d’utiliser la violence verbale ou physique pour le faire. Cela dénote une certaine intelligence de la part des supporters ». L’empowerment associé à l’intelligence collective montre ainsi son efficacité : dès lors qu’un groupe prend conscience de sa faculté à influer sur les évènements via la confrontation des expertises individuelles des membres qui le compose, il contribue à créer de valeur. Par exemple, les décisions qui résultent des différentes interactions sont susceptibles de peser positivement sur l’attractivité de l’organisation. Ainsi, le surcroît de notoriété issu des initiatives portées par le groupe de supporters MNK est de nature à rejaillir sur l’image du club et par extension, à inciter de nouveaux partenaires à investir dans le club malherbiste.

La culture des entreprises gagnerait ainsi à promouvoir un type de management qui s’articule autour de quelques axes clés : l’humour plutôt que les réprimandes, la bienveillance plutôt que la contrainte, la valorisation de l’intelligence collective plutôt que la quête de la division (pour mieux régner), la promotion de l’empowerment plutôt que le contrôle.

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