Les chefs de service devront manager le travail, pas les télétravailleurs

Photo : Les chefs de service devront manager le travail, pas les télétravailleurs

Dans un open space, le manager n’a qu’à tourner la tête pour vérifier que son collaborateur est bien en train de travailler, et qu’il ne passe pas son temps à faire des achats en ligne. En télétravail, même si l’icône indique qu’il est connecté, comment être sûr qu’il est bien présent et qu’il n’en profite pas pour regarder la télévision ? Pour beaucoup de chefs de service, travail à distance rime en effet avec… Netflix.

Depuis le début de la crise, il ya dix-huit mois, et le renvoi à la maison de millions de salariés condamnés à travailler de chez eux, cette incertitude a affolé certains managers, habitués à la culture managériale française largement basée sur le présentéisme. « Pour beaucoup, ça a été une période compliquée parce qu’on a une tradition en France de suivi de la réalisation : on a une culture qui évalue la qualité du travail par la quantité », décrypte Arnaud Lacan, professeur de management à Kedge BusinessSchool.

Face à cette situation, certains ont cherché à appliquer le même type de management qu’en présentiel, quitte à provoquer des conflits. « Dans certaines entreprises, il y a une lutte avec des managers qui forcent leurs collaborateurs à revenir au bureau parce qu’ils n’ont que des pratiques liées à un espace-temps commun », explique Alexandre Pachulski, l’un des fondateurs de Talent‐soft, une entreprise de logiciel RH. D’autres se sont au contraire adaptés à cette nouvelle norme et ont décidé de revoir leurs principes. L’évolution vers un management qui laisse plus de liberté au salarié était de toute façon inévitable, selon de nombreux experts.

« La pandémie a accé‐léré cette transformation dutravail, mais elle aurait eu lieu tôt ou tard », estime Alexandre Stroube, directeur du Lab RH, une association qui promeut l’innovation dans les ressources humaines. Gestion au cas par cas. Pour manager correctement une équipe qui travaille au moins partiellement – depuis son domicile, de nouvelles compétences sont nécessaires. Première règle : être flexible et admettre qu’on ne peut pas tout contrôler.

« Le manager doit accepter les résultats sans maîtriser la méthode, manager le travail, mais pas le télétravailleur », explique Arnaud Lacan. Une pratique difficile pour certains, qui attendent des feedback. Il faut poser des règles, prévient Jean Pralong, titulaire de la chaire RH à l’EMNormandie. Il y a des salariés qui, par stratégie ou parce que c’est leur personnalité, vont beaucoup communiquer sur l’avancée de leur travail alors que d’autres pas du tout. Le manager doit dire clairement ce qu’il attend.

À distance, la valeur ajoutée du manager se situe en fait dans sa capacité à créer une cohésion d’équipe. « Il faut réserver un temps commun pour donner du sens à la réussite collective. À partir delà, chacun peut ensuite travailler de manière autonome », précise Arnaud Lacan. En équilibriste, le manager de demain ne doit pas pour autant négliger d’entretenir des liens avec chacun de ses collaborateurs. « En télétravail, les moments oùvous pouvez avoir accès aux signaux faibles sont réduits. Il faut donc être beaucoup plus à l’écoute pour cerner leur état émotionnel », ajoute le professeur de management.

D’autant plus que les nouvelles générations attendent de leur supérieur qu’il prenne aussi en compte leurs aspirations personnelles. Alexandre Pachulski donne en exemple les salariés qui décident de quitter Paris/ Ils sont de plus en plus nombreux, un cadre sur cinq recherchai tun emploi en dehors de la capitale en mars, selon une étude de Cadremploi. « On ne peut pas se séparer de tousces gens-là, donc il faut arbitrer pour savoir s’il y a une marge de négociation ou si on risque de perdre la personne », détaille-t-il. D’après l’AND RH, un tiers des DRH ont été confrontés en un an à des salariés ayant déménagé sans les prévenir et leur demandant, une modification de leurs contrat et organisation du travail.

Auteur(s)
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    Jean Pralong Professeur en RH digitales et gestion des carrières

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