Depuis le 1er juillet, la durée du congé paternité, en France, est passée de 14 à 28 jours, dont sept obligatoires. Le cadre réglementaire progresse, mais les organisations doivent aussi prendre leurs responsabilités et accompagner les jeunes pères.
Les recherches montrent que la parentalité constitue un moment crucial pour l’égalité femmes-hommes, signifiant souvent le retour à des schémas traditionnels de division sexuée du travail (réduction du temps de travail pour les mères et engagement réactivé dans la carrière pour le père). L’allongement du congé paternité est donc une étape importante et nécessaire, qui rappelle aussi que le rapport à la paternité a évolué ces dernières années, et que les pères souhaitent s’investir davantage dans une paternité relationnelle et active. Toutefois, il existe souvent un décalage entre leurs désirs et leurs actes et ils doivent encore faire face à de nombreuses barrières et stigmatisations. Au-delà de la responsabilité individuelle, l’entreprise a aussi un rôle essentiel à jouer dans cette transformation.
L’allongement du congé paternité, un levier pour lutter contre les inégalités
Historiquement, pour atteindre l’égalité, les politiques publiques ont favorisé l’activité professionnelle des femmes et négligé l’importance d’encourager la participation des hommes à la vie familiale. La présence du père auprès de ses enfants nouveau-nés est essentielle pour mettre en place des habitudes de partage équitable des soins entre les parents (comme le montrent les travaux de Diane-Gabrielle Tremblay), et ne pas renforcer la spécialisation des rôles masculins ou féminins dans la famille. Pour le gouvernement français, l’objectif affiché de cet allongement du congé paternité est notamment d’augmenter l’implication des pères dans les tâches parentales et domestiques. Selon une étude de l’Insee de 2015, les écarts restent criants quand il s’agit de lancer une lessive ou d’emmener sa progéniture à un rendez-vous médical. En moyenne, les femmes consacrent chaque jour 4h38 aux enfants et aux tâches domestiques. C’est quasiment deux fois moins pour les hommes (2h26).
L’attitude à l’égard de la parentalité se formerait en grande partie dès les premiers jours suivant la naissance. « Ce n’est pas une question de rôle ou de sexe, insiste Isabelle Filliozat, psychothérapeute et membre de la commission sur les 1000 premiers jours de l’enfant. Si on est au quotidien auprès d’un enfant, on devient plus sensible, attentif et on développe ses compétences parentales ». Or, « les pères n’ont pas suffisamment d’occasion d’avoir du temps avec leurs tout-petits, ils tissent moins d’attachement, se sentent un peu moins concernés et peuvent avoir tendance à laisser les tâches parentales à la mère, ce qui génère de nombreux conflits », analyse-t-elle. De plus, la parentalité a un coût pour de nombreux salariés (en termes de carrière, de promotion, de salaires, etc.), qui pèse encore majoritairement sur les mères. L’allongement du congé paternité permettrait de mieux répartir ce coût, car l’absence en entreprise ne serait plus l’apanage des femmes.
Des freins persistants, entre normes organisationnelles et rapport à la masculinité
L’allongement du congé paternité est une avancée importante mais insuffisante pour transformer les mentalités. Pour que cette transformation ait lieu, encore faut-il que les nouveaux papas s’autorisent à prendre ce congé. En France, 67% des pères ont recours au congé paternité, un chiffre qui a très peu évolué depuis son instauration en 2002. Ce chiffre dissimule également de fortes disparités puisque 80% des salariés en CDI y ont recours, mais moins de 60% des travailleurs précaires. Certes, le gouvernement a prévu sept jours obligatoires pour tous, une manière d’atténuer ces disparités et de couper court aux injonctions sociales et aux pressions des employeurs qui peuvent s’exercer sur les travailleurs masculins.
Car les barrières ne sont pas uniquement légales, il y a encore de nombreux freins psychologiques, notamment de la part des entreprises. Celles-ci restent encore régies par des normes masculines sous-jacentes, mettant à mal leur prétendue « neutralité », notamment la norme du « travailleur idéal », qui continue de renvoyer à une vision plutôt masculine du monde professionnel et de ses codes : longues heures de travail, réunions tardives, hyper-disponibilité, forte implication, peu d’interférences admises de la sphère privée et familiale dans le travail… (lire aussi la chronique : « Pourquoi les discours sur la performance nourrissent l’homophobie au travail ») Par ailleurs, le travail continue d’être un pilier de l’identité masculine, et s’en écarter l’expose à un questionnement identitaire et à une forte stigmatisation. Une première stigmatisation de perte d’implication (« flexibility stigma »), fondée sur le préjugé qu’une plus grande implication dans la paternité entraîne une moindre implication dans l’entreprise. Une seconde stigmatisation de perte de virilité (« femininity stigma »), fondée sur l’idée que les hommes impliqués dans leur paternité seraient moins virils.
Le rôle du management
Le rôle des managers est alors essentiel pour faire évoluer les mentalités et aider les pères à s’impliquer davantage dans leur parentalité. Tout d’abord, les managers ont un rôle important pour accompagner les jeunes pères très concrètement au quotidien. Comme l’a montré récemment une étude menée auprès de 216 mères italiennes, l’implication des managers, tant sur le plan pratique que psychologique, est directement corrélée au niveau de bien-être des jeunes mères. C’est évidemment la même chose pour les jeunes pères. Les managers attentifs aux nouveaux besoins de leurs collaborateurs en termes de flexibilité horaire (au quotidien pour la garde d’enfants ou lors des congés payés) et d’équilibre vie privée-vie professionnelle facilitent grandement l’implication des jeunes parents.
Ils ont également un rôle psychologique clé en accompagnant les jeunes mères mais aussi les jeunes pères face aux inévitables stigmatisations (de perte de virilité et d’implication). Ils sont en première ligne pour leur garantir qu’ils ne subiront pas d’impacts négatifs sur leur bonus, leurs augmentations salariales et leurs éventuelles promotions. Ces pressions sont d’ailleurs souvent plus fortes sur les collaborateurs à faibles revenus comme l’ont montré plusieurs études nord-américaines.
Enfin, les managers ont un rôle d’exemplarité. Comme les théories néo-institutionnelles le soulignent, les pressions légales et normatives sont essentielles, mais ne suffisent pas. Les effets de mimétismes sont aussi nécessaires pour faire évoluer les pratiques au quotidien, et l’exemplarité managériale est un élément clé de l’évolution des mentalités dans les organisations. On peut notamment prendre pour exemple la Norvège, où 70% des jeunes pères prennent un congé parental de 10 semaines, que les employeurs n’ont pas le droit de refuser.
Très concrètement, nous suggérons deux mesures aux organisations qui souhaitent véritablement s’emparer de ce sujet essentiel pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes qu’est l’accompagnement des jeunes pères au quotidien. Tout d’abord, il faut que les entreprises étendent les compensations liées aux pertes financières du congé paternité. En effet l’indemnité maximum proposée par la sécurité sociale est aujourd’hui de 89,03 euros brut par jour, soit 3428 euros par mois. C’est bien sûr un effort collectif important, et seuls 20% des salariés les mieux rémunérés seraient perdants. Mais ces 20% sont la plupart du temps des managers qui hésitent à prendre leur congé paternité et ne peuvent dès lors pas jouer leur rôle de modèle vis-à-vis de l’ensemble des collaborateurs. C’est même précisément l’inverse qui se produit, renforçant l’idée que les hommes sont les « gagne-pains » du couple, et que la parentalité est une atteinte à leur virilité. Si la plupart des grandes entreprises compensent la perte de salaires de leurs salariées femmes, on est encore malheureusement très loin de cette norme pour les hommes. Par ailleurs, les entreprises ont l’obligation d’organiser un entretien annuel à l’issue d’un congé maternité ou d’un congé parental (article L. 1225-27 du Code du Travail). Pourquoi n’en serait-il par de même pour les hommes ? Si l’on veut donner l’occasion aux managers d’accompagner davantage les jeunes pères dans leur parentalité, il faut leur donner les mêmes moyens que pour leurs collaboratrices.